[RETOUR SUR..] L’Enfer des Armes – Embrasement Juvénile (Festival Lumière 2023)

Troisième film composant sa “Trilogie du Chaos” après Butterfly Murders et Histoires de Cannibales, L’Enfer des Armes en est son plus célèbre et éclatant représentant. Tsui Hark fait partie de cette nouvelle vague de jeunes réalisateurs à la fin des années 70-début 80 qui émergent et signent des œuvres marquantes, violentes, parfois engagées, avec un style visuel assez réaliste. La censure hongkongaise a ordonné un nouveau montage et une restructuration du film pour autoriser sa sortie. Ainsi, certaines scènes ont été coupées, et d’autres ont dû être tournées et ajoutées au montage pour alléger la charge politique, la violence, et le nihilisme du film.

Une version director’s cut a été éditée notamment chez HK Vidéo en France, avec le montage original, mais les scènes supprimées à l’époque n’ont été conservées qu’en copie VHS dans une qualité médiocre, et le support sur pellicule est quant à lui probablement perdu. Cela crée au sein du montage de cette version une différence notable de qualité d’image, mais le plus important est de restituer à cette œuvre phare du cinéma de Hong-Kong les intentions premières de son auteur.

L’Enfer des Armes nous raconte l’histoire d’une jeune fille et trois garçons, qui décident de commettre une série d’actes criminels dangereux comme un attentat à la bombe dans un cinéma, ou un braquage armé dans un bus de touristes. Ces personnages sont d’ailleurs inspirés d’un fait divers, avec de vrais jeunes ayant commis ce genre de crimes, sans réelle motivation autre que de s’amuser ou passer le temps. Ce que Tsui Hark cherche à nous montrer ici, c’est une vision extrêmement noire et violente de Hong-Kong. Il nous dépeint un véritable monde au bord de l’effondrement, dans cette colonie britannique où le capitalisme occidental écrase le savoir-vivre, rendant une part de la population chinoise égoïste, et où les institutions, notamment la police, sont corrompues et décadentes. La rétrocession à la Chine n’est pas encore officialisée à l’époque, mais il est fort probable que cette perspective participe au climat social anxiogène du film.

© Spectrum Films

Nul doute que des jeunes puissent sombrer dans le crime et la violence, voyant leur avenir aussi compromis. Si les trois garçons agissent principalement pour s’amuser, ils sont en réalité influencés (voire contraints) par Wan-shu, qui elle a une motivation ouvertement déviante et anarchiste. Leurs actions les mèneront à croiser la route de criminels anglais (comme par hasard), avec lesquels s’engagera une véritable guerre armée au fil du récit. Le final du film, se déroulant dans le cimetière de la ville, symbolise en ce sens la seule issue possible à la situation de ce groupe de jeunes, et par extension, des gangsters occidentaux.

Il faut noter que le frère de la jeune fille est également un policier au comportement violent et abusif, ce qui n’aide pas à renforcer le lien de confiance envers la famille, ainsi que les institutions. Il est incarné par Lo Lieh, acteur légendaire du célèbre Studio Shaw Brothers, et si il a déjà interprété des rôles d’antagonistes, il est une figure emblématique de la culture chinoise et de ses traditions, donc le faire jouer un rôle de flic sur qui on ne peut visiblement pas compter est une nouvelle fois symbolique de la décadence du monde moderne. Une révolution économique et capitaliste que Tsui Hark s’amuse à critiquer dans la scène de braquage du bus de touristes, avec le guide qui pour convaincre Wan-shu d’arrêter, dit que ces touristes enrichissent l’économie locale, plaçant ainsi la valeur de vies humaines sur un curseur purement financier.

A cette époque, beaucoup de films HK utilisaient des chansons ou des bandes originales de films occidentaux (parfois sans payer de droits…), et L’Enfer des Armes ne déroge pas à la règle. De nombreux titres, parmi lesquels “Oxygène IV” de Jean-Michel Jarre, ou encore la BO de Zombie (Dawn of the Dead), composée par Goblin. Choix intéressant, car outre la qualité de la mélodie, c’est surtout qu’elle est issue d’un film de George Romero se déroulant dans un centre commercial, et dans lequel il critiquait vivement ce mode de vie capitaliste, et se servait des zombies comme symboles de l’aliénation au monde consumériste de la population américaine. Tsui Hark n’a peut-être pas pensé à cela en intégrant la bande-son, attiré simplement par la mélodie, mais le parallèle entre les deux œuvres est assez évident.

© Spectrum Films

Si Tsui Hark n’a pas encore atteint la flamboyance et la maîtrise formelle de ses œuvres ultérieures comme Zu, les Guerriers de la Montagne Magique, Il était une fois en Chine, ou encore Time and Tide, nul doute qu’il exploite ce style réaliste à merveille. En effet, il parvient à créer des scènes de violence terriblement viscérales (dès l’ouverture du film), ainsi que des courses-poursuites et fusillades absolument électrisantes. Il est dommage de constater que la version approuvée par la censure change le portrait du groupe de jeunes, en effaçant certains de leurs actes comme la fabrication et la pose de la bombe dans le cinéma, et orientant le film davantage vers un polar que vers le film social explosif que le réalisateur souhaitait faire.

On espère que les scènes conservées en VHS pourront être intégrées de quelconque manière dans l’édition blu-ray prévue prochainement en France, car malgré la différence énorme de qualité d’image avec le reste, c’est non seulement une volonté de respecter l’auteur, mais aussi un acte résistant, contre cette censure abusive. Cela étant dit, L’Enfer des Armes est un film très important du cinéma de Hong-Kong, un objet filmique représentant une population et une jeunesse chinoise désespérée, au bord de l’implosion ainsi qu’une vision profondément noire et cruelle du colonialisme britannique et du capitalisme occidental, qui gangrène les rues de la ville.

L’Enfer des Armes de Tsui Hark, 1h35, avec Lo Lieh, Lin Chen-Chi, Albert Au, Lung Tin-Sang, Che Biu-Law – Ressortie au cinéma et en blu-ray par Spectrum Films. Restauration 2K par Spectrum Films

8/10
Note de l'équipe
  • Vincent Pelisse
    8/10 Magnifique
  • William Carlier
    8/10 Magnifique
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