Dans un futur dystopique, en cette année 2021, évolue Johnny, incarné par l’éminent Keanu Reeves. Il se distingue en tant que messager, un transporteur doté d’améliorations cybernétiques, s’évertuant à préserver des informations sensibles. Un prestigieux conglomérat pharmaceutique ambigu confie à sa pensée ces précieux documents. Toutefois, la situation s’effrite rapidement, poussant Johnny à trouver un moyen d’évacuer ces données cruciales de son esprit, menacé d’implosion, tandis qu’il est implacablement traqué par le redoutable yakuza et un prêtre cyborg d’une prestance hors du commun.
Ses seuls alliés se réduisent à un garde du corps malheureux, atteint d’un mystérieux virus aux conséquences apocalyptiques, ainsi qu’à Ice-T et sa bande d’anarchistes, qualifiés à maintes reprises d’opposants à la technologie, malgré leur base secrète, ironiquement composée intégralement d’écrans d’ordinateur. À cela s’ajoute un dauphin pirate. Nous évoluons dans l’univers de Johnny Mnemonic, une expérience de 90 minutes, une véritable plongée dans une crise d’une ampleur vertigineuse, véritablement inscrite dans la trame d’un modem commuté.
Le futur ici ne s’apparente ni à la pluie torrentielle de Los Angeles dans Blade Runner, ni à l’enfer hédoniste de Mars dans Total Recall. Néanmoins, ces deux mondes partagent un point commun : un dénuement en nuances et en caractère, presque parodiques et dépourvus de sincérité. William Gibson, le pionnier du cyberpunk et une figure légendaire de la science-fiction dystopique, semble avoir été sciemment exclu du cadre de Johnny Mnemonic, jusqu’au générique de fin, ce qui, en toute logique, ne peut étonner. Le récit, élaboré par le créateur du cyberpunk, se conforme aux mêmes thèmes d’autodestruction anarcho-capitaliste et de métissage culturel entre l’Est et l’Ouest. Par moments, l’influence de Gibson révèle une prescience remarquable, comme la capacité de stockage de 80 Go du cerveau de Johnny, bien que cela puisse aujourd’hui sembler modeste, à l’époque, cela correspondait à l’ordre de grandeur approprié. Cependant, à d’autres moments, cette influence semble reléguée au second plan au profit d’un ensemble explosif, peuplé de pièces et de personnages marginaux excentriques. Le résultat final est une intrigue qui se gonfle à outrance, regorgeant d’idées qui auraient pu constituer les fondements d’une fiction philosophique profondément captivante, mais qui sont immédiatement englouties par des exclamations telles que : « Regardez ! C’est Ice-T ! Et il a apporté une arbalète !« .
Par conséquent, peu de choses peuvent être dites au sujet de l’intrigue, ni même du jeu d’acteur, pour un casting qui suscite davantage l’étonnement qu’autre chose. Il est étonnant de constater comment les dialogues sont délivrés avec une distance presque méditative, ponctués sporadiquement par des soupirs d’agacement pour tenter de dynamiser l’ensemble. Tout cela semble acceptable lorsque le scénario conserve un soupçon d’autodérision, adhérant au dialogue usé propre aux films de série B qui, même en 1995, était d’une banalité affligeante (environ la moitié des répliques prononcées, que ce soit par Keanu Reeves ou Dina Mayer, pourraient aisément être remplacées par un simple « Woah, ralentissez, s’il vous plaît, en anglais« ). Cependant, lorsque le film commence à rêver de sa grandeur potentielle, il retombe brutalement sur terre. Le discours pro-luxe célèbre de Johnny, au milieu du film, procure une jouissance particulière à un public qui apprécie la médiocrité jusqu’à la trouver divertissante. Il se tient alors au sommet d’un amas d’ordures, vociférant au sujet du service de chambre et des chemises blanchies. Si les déchets authentiques sont accueillis à bras ouverts, les détritus qui prétendent s’élever au rang de fables morales s’avèrent fastidieux et quelque peu déprimants.
Ce sont ces incursions dans la moralité qui entravent la possibilité d’envisager ce film comme un « beau désastre ». Il invite le spectateur à une réflexion approfondie au-delà des explosions lumineuses, avant de le réprimander brusquement. On nous presse de méditer sur la moralité de l’industrie médicale axée sur le profit ou sur la nature autodestructrice de l’excès technologique, pour être ensuite submergé par une séquence de réalité virtuelle tout droit sortie d’un épisode de série télévisée. Rien n’illustre mieux cette incohérence que le prédicateur semi-robotique interprété par Dolph Lundgren, un personnage qui semble destiné à incarner les dilemmes théologiques les plus simplistes et superficiels de la fiction dystopique, pour finalement surgir à la fin du film en hurlant « C’est l’heure de Jésus ! ».
Cependant, il serait injuste de totalement discréditer ce film. En dépit de ses innombrables défauts, il parvient à divertir pleinement, même si l’on oublie les neuf dixièmes de l’histoire dès le générique de fin. Comment peut-on véritablement mépriser un film dont l’intrigue pourrait être rendue totalement obsolète par un simple fichier zip ? Comment peut-on sérieusement méditer sur la philosophie d’un film qui nous présente encore une fois un dauphin pirate transmettant un message à Keanu Reeves grâce à une antenne parabolique, tout en le qualifiant de poisson ? La place de Johnny Mnemonic dans la catégorie des films « tellement mauvais que c’est bon » reste injustifiée. Ses mérites et ses échecs sont dissociables, sans lien. Il réussit dans certains aspects et échoue dans d’autres, mais ses moments de grandeur sont en dépit de ses erreurs, non pas à cause d’elles. Il vaut mieux se tourner vers Total Recall et laisser ce désastre aux yeux pétillants s’éteindre dans l’oubli.
Johnny Mnemonic de Robert Longo, 1h38, avec Keanu Reeves, Ice-T, Dolph Lundgren – Sorti en 1995