Carlos Lopez Estrada ne joue pas dans la demi-mesure avec ce film, appuie son style en jouant de la tendance « woke », celle d’une jeunesse américaine souciée des problèmes communautaires de son époque, entre racisme anti-asiatique, grossophobie, homophobie, intolérance, et d’autres plus simples. L’histoire ? Celle de 25 jeunes à Los Angeles, s’entrecroisant pendant une journée ensoleillée, alors qu’ils sont tous plus où moins confrontés à des soucis quotidiens… Le réalisateur ne recherche pas tant l’émotion directe par le « spoken word », sorte de texte oralisé alternant entre chant, poésie et slam, permettant aux 25 artistes du film de s’exprimer en toute liberté. Bien au contraire, qu’il s’agisse du rap ou d’un chant au crépuscule, l’expression passe par toutes les formes, se rejoint également lorsque les personnages se croisent… Ce procédé permet non seulement de ne pas céder à la facilité du pathos comme on aime tant le nommer ainsi, mais surtout d’illuminer le regard saisi d’incompréhension, éveillé d’un jeune confronté à la société.
Caméra portée, gros plans et raccords d’une séquence à l’autre, il s’agit de naviguer dans ce Los Angeles urbain, ensoleillé et paisible à la surface mais nourri d’habitude sociales complexes, de réflexes plus obscurs. Sans romantisme forcé ou par la comédie musicale pure comme dernièrement (D’où l’on vient, Jon M. Chu), le film d’Estrada ne ressemble pas tellement au cinéma de Spielberg tel un West Side Story prônant la fierté communautaire (le remake du film de Robert Wise, par le même sort prochainement), mais bien au contraire isole chacun de ses personnages dans une bulle de laquelle il doit tenter de se sortir. Seulement après cela, puisse-t-il s’affranchir et soutenir le texte de l’autre artiste bloqué dans la sphère sociale.
Une jeunesse connaisseuse du regard et de l’opinion de l’autre, que l’on suit dans des environnements bien différents (du bus à la banlieue, au restaurant jusqu’au studio de musique, et au psychologue) donnant bien évidemment la sensation de vertige, d’autant plus que la mise en scène rejoint tout à fait cela. C’est un voyage énergique et chaleureux -d’une jeunesse sujette à des crises intérieures. Plusieurs scènes frôlent le sublime, notamment celle où une jeune femme rappelle l’attaque d’un jeune homme sur son physique, clamant qu’il aurait mieux valu qu’elle meurt plutôt qu’elle vive, lui renvoie ses dires dans un discours des plus captivants. Une autre – et c’est bien là le propos d’Estrada, couvrant l’introduction et l’épilogue – est un passage musical chanté, à l’aube et pendant un feu d’artifice de nuit, où le regard sur le monde est lumineux, moins fermé : la jeune femme ne sera plus seule à chanter, mais accompagnée de ses autres confrères et artistes du film. Confronter le monde par la poésie, l’art de manière globale puis y retrouver la superbe jadis présente.
Summertime est un film-concept, qui ne plaira pas forcément à tout le monde bien évidemment. Le récit n’est pas des plus complexes, consiste en un objet sociologique que certains trouveront soit peu subtil (malgré sa belle poésie) soit ennuyant, et cela en dépit de toutes ses qualités cinématographiques. Une chose est certaine, Carlos Lopez Estrada revendique la liberté d’expression d’une simplicité apparente (les thèmes, si exploités au cinéma) – et d’une complexité au fond (le concept, trop ambitieux ?) – passionnante, presque contradictoire, mais à saluer comme toute création se démarquant très facilement des autres productions du genre. Un beau film, aux artistes-acteurs inspirés, confirmant le talent du cinéaste mexicain-américain.
⭐⭐⭐⭐
Note : 4 sur 5.Summertime au cinéma le 15 septembre 2021.