[CRITIQUE] Sleep – cauchemar allemand

Les songes ont toujours été le terreau fertile des récits perturbants, les arcanes où chasser les secrets précieux, tel un navigateur explorant les antiques vérités, et parfois le seul refuge où l’horreur peut faucher une existence. Sleep conjugue ces éléments pour tisser un récit poignant sur le monde qui prend vie lorsque nos paupières se ferment.

Après que sa mère, Marlene (Sandra Hüller), sombre dans un état catatonique à la suite de cauchemars obsédants, Mona (Gro Swantje Kohlhof) s’installe dans l’hôtel où sa mère a trouvé refuge, tout en cherchant à percer les mystères dissimulés dans les indices oniriques. Bien que son intention première soit de veiller sur sa mère, hospitalisée à proximité, Mona se laisse bientôt emporter par le courant de son enquête, plongeant dans les méandres de la vie quotidienne des propriétaires de l’établissement. Au fur et à mesure que Mona sonde l’histoire de l’hôtel, ses propres rêves s’entremêlent avec la réalité, la contraignant à défendre son territoire contre les assauts de deux mondes, dans l’espoir de libérer sa mère des démons qui la hantent dans le sommeil.

Ce premier long-métrage du réalisateur Michael Venus, co-écrit avec Thomas Friedrich, explore les arcanes des rêves sous des angles multiples, pour en extraire une nouvelle perspective. C’est un exploit pour des cinéastes débutants, une prouesse narrative qui s’affirme comme une invitation à créer davantage. Le film explore autant les mystères que les terreurs des songes, et la réalisation s’y engage pleinement. Mona, brisée, épuisée, et seule, se lance dans une quête désespérée à la recherche d’un refuge salvateur. En la suivant dans ce périple, alors qu’elle franchit les épreuves avec une obstination héroïque, Sleep façonne une nouvelle héroïne dans la lignée de Nancy Thompson (Les Griffes de la nuit). Les séquences oniriques se déploient avec subtilité, évoquant le paysage urbain mouvant de Christopher Nolan, tandis que des blocs de Jenga flottants instaurent une atmosphère oppressante. Les rêves s’immiscent dans la réalité à travers des flashbacks cauchemardesques, des indices inquiétants et des actes d’automutilation violents. Trude (Agata Buzek) incarne un cauchemar qui surpasse même Freddy Krueger.

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Au cœur de ce récit sur les rêves meurtriers, réside une histoire de femme, de maternité et de famille. Trois générations de femmes sont tourmentées par un traumatisme hérité, une force qui résonne avec une intensité particulière dans ce film allemand, où une femme s’attaque aux démons du passé (et en vient à bout avec une maestria déconcertante). Les rêves obsédants servent de cri de ralliement à une femme brisée, dont le trauma a convoqué ses descendants sur les lieux d’un crime passé. Mona vient en aide à sa mère par nécessité, car personne d’autre ne le peut ou ne le veut. Dans ce périple, elle découvre qu’elle est destinée à accomplir bien plus qu’elle ne l’avait imaginé, se retrouvant seule à affronter le traumatisme familial. C’est un souffle d’air frais que de voir un film centré sur les femmes leur offrant des récits riches, affranchis de certains clichés. Il est particulièrement gratifiant de constater que la quête de vengeance d’une femme n’a pas besoin d’être justifiée par un acte de violence ou de violation. De la lignée de Mona à la force de Lore (Marion Kracht) et à la bravoure de Franzi (Martina Schöne-Radunski), Sleep regorge de femmes vengeresses aux motivations variées et aux coupes de cheveux résolument stylées.

Un élément incontournable de ce récit est l’utilisation du son. Chaque coup, chaque cri résonne avec une intensité qui instille un malaise profond, brouillant les frontières entre rêve et réalité à travers des superpositions sonores entre les changements de scène. Avec des performances obsédantes et une chaleur palpable émanant des liens d’amitié et familiaux, ainsi que la force des alliés qui transcendent le temps, l’espace et les plans d’existence, Sleep est un récit saisissant sur les traumatismes hérités, prenant forme à travers les cauchemars et le travail nécessaire pour surmonter ce qui ne peut être évité physiquement.

Ce cauchemar sur les traumatismes hérités mêle différentes traditions oniriques pour créer un conte effrayant qui revisite de manière inversée le récit du guerrier des rêves chassant Freddy avec la tension oppressante de Shining. Puissant et onirique, il éclaire les mystères d’une manière qui insuffle une vitalité nouvelle aux personnages principaux.

Sleep de Michael Venus, 1h41, avec Gro Swantje Kohlhof, Sandra Hüller, August Schmölzer – En VOD le 13 mai 2021

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