[TOP] La saga Freddy, illusion ou réalité ?


Freddy incarne une icône immuable du septième art, s’élevant dans le panthéon du cinéma d’horreur tel un spectre incontournable, érigé en symbole du slasher, ce sous-genre macabre où sévit un tueur psychopathe, souvent déformé ou masqué, éradiquant méthodiquement une cohorte de jeunes ou d’innocents, usant parfois de l’arme blanche comme d’un sardonique ornement. Pourtant, tel un visage éclairé par les méandres de l’obscurité, sa silhouette iconique, tout comme d’autres franchises illustres de cette ère ténébreuse comme Halloween ou Vendredi 13, s’éclipse parfois dans l’ombre d’une inégalité criante. Nombre de ses métrages, loin de revêtir le manteau de l’excellence, trahissent un manque de cohérence flagrant, voire s’avèrent superflus au sein de la toile narrative qu’ils s’efforcent de tisser.

C’est ainsi qu’une incursion rétrospective au cœur de cette saga s’impose, sous les auspices d’un classement où, par-delà toute analyse méthodique, se profile l’empreinte indélébile du subjectif.

Si l’effroi distillé par Freddy venait à faucher les adolescents dans les replis de leurs rêves, leur funeste destin s’étendrait inexorablement jusqu’aux confins du monde réel. Une vendetta sournoise animant son âme tourmentée, ourdie à l’ombre des flammes dévorantes ayant jadis ravagé sa demeure, il s’évertue à s’emparer de la vie des enfants pour infliger un châtiment implacable aux géniteurs responsables de son malheur.

Voici donc un classement, du meilleur au pire, de la saga :

FREDDY 3 : LES GRIFFES DU CAUCHEMAR, CHUCK RUSSELL, 1987.

Il se pourrait que cela vous étonne, mais le troisième volet des “pérégrinations” de Freddy résonne au sein de la franchise tel un cartoon horrifique, débordant de fantaisie macabre. Sous la houlette de Chuck Russell, qui, quelques années plus tard, allait orchestrer le magnifique The Mask ainsi que l’énigmatique The Blob, ce chapitre fait figure de compilation créative, au sens le plus élogieux du terme. Porté par une inspiration débridée, les scénaristes, à savoir Wes Craven et, dans une moindre mesure, Frank Darabont, déploient une imagination généreuse, tissant des tableaux d’une audace délirante qui marqueront à jamais les adeptes de la série, magnifiés par des effets spéciaux toujours saisissants aujourd’hui. Chaque séquence révèle une ingéniosité nouvelle, qu’il s’agisse d’un jeu subtil de lumières, d’une mise en scène spatiale élaborée ou d’un maquillage troublant. Le film se distingue par une esthétique rare pour un simple slasher. En effet, cet opus se démarque par la déferlante d’idées délirantes dans les rêves de ses protagonistes, dynamisée par l’interprétation cabotine mais parfaite de Robert Englund dans le rôle de Freddy Krueger. Fini l’ambiguïté homoérotique du second volet, celui-ci se révèle plus candide, mais tout aussi empreint d’humour et de terreur par moments.

En s’inscrivant directement dans la continuité du premier film, Freddy 3 fait volontairement l’impasse sur le deuxième volet, pour notre plus grand plaisir, celui des aficionados, ainsi que celui de Craven lui-même.

LES GRIFFES DE LA NUIT, WES CRAVEN, 1985.

En évoquant Wes Craven, l’architecte émérite de la franchise et du personnage, avec ce précurseur sobrement intitulé A Nightmare on Elm Street en version originale ou Les Griffes de la nuit dans sa version française, il parvient avec brio à nous immerger dans cet univers à travers un long-métrage peut-être en apparence trop simpliste, mais d’une redoutable efficacité. Que ce soit la scène où Tina (interprétée par Amanda Wyss) est tirée de son sommeil par un caillou jeté à sa fenêtre, un rituel amoureux parodié qui bascule vers un macabre cauchemar, ou encore celle où Nancy (jouée par Heather Langenkamp) s’éveille en plein cours d’histoire, ensorcelée par le discours de plus en plus hypnotique et sinistre de son professeur, ce premier opus de Freddy tisse une toile de tension croissante, accumulant les images inquiétantes jusqu’aux apparitions quasi-cathartiques du tueur défiguré. La tension est savamment entretenue tout au long du film, magnifiée par la partition musicale de Charles Bernstein, dont les notes de clavier reconnaissables entre mille et la relecture sinistre d’une comptine pour enfants annoncent l’arrivée imminente du croquemitaine. Il serait indubitablement inapproprié de passer sous silence l’une des premières incursions cinématographiques de Johnny Depp, d’autant plus que la meilleure scène du film se déroule en sa présence (ou plutôt sa présence liquide, si je puis me permettre cette allusion).

Parsemé de folies visuelles, porté par une mise en scène réfléchie et offrant, même à l’heure actuelle, un pur moment de frisson sous la couverture, Les Griffes de la nuit demeure un incontournable du genre, une porte d’entrée pour les préadolescents avertis en quête d’émotions fortes.

FREDDY 4 : LE CAUCHEMAR DE FREDDY, RENNY HARLIN, 1988.

Passer après l’impact saisissant des Griffes du Cauchemar représente une entreprise des plus ardues, surtout pour un réalisateur (presque) néophyte, dépourvu du soutien scénaristique de Wes Craven pour ériger un film à la hauteur des deux précédents opus. Dans ce contexte, Renny Harlin (qui signera plus tard Die Hard 2 et Peur Bleue) s’en tire plutôt honorablement. Cependant, l’aura de Freddy Krueger s’effrite brutalement dès sa résurrection (au travers d’une renaissance quelque peu peu reluisante impliquant la délicate affaire de la miction canine, bien peu élégante). Cette illustration, comme vous pouvez l’imaginer, s’inscrit en préambule de ce nouvel épisode et reflète l’incapacité des scénaristes à concevoir un récit sérieux pour une mise en scène qui ambitionne une certaine gravité. Aussi bien dans l’écriture que dans la réalisation, le résultat ne se démarque guère des volets précédents de cette saga qui a toujours exploré les méandres de cette dimension onirique, ne contribuant guère à l’enrichissement de l’anthologie du tueur aux griffes d’acier. Le film est expiatoire, bien qu’il conserve un attrait relatif, sans doute imputable à une bande originale caractéristique de son époque, s’accordant harmonieusement à cette imagerie pop inquiétante, parfois presque lyrique. Toutefois, il serait fallacieux de taire le défaut flagrant de script, de dialogues, et de personnages percutants, qui entrave toute tentative de recommandation.

On retient un rythme effréné où l’ennui se manifeste rarement, au profit d’un long-métrage oscillant entre le désastre cinématographique et la curiosité. On sourit, on passe un moment divertissant (même si douloureux pour les fervents adeptes du mythe), mais le film ne suscite guère l’émerveillement. Un demi-cauchemar qui s’évapore sans laisser de traces dans nos mémoires à notre réveil.

FREDDY SORT DE LA NUIT, WES CRAVEN, 1995.

Wes Craven revient à la barre, tant derrière le scénario que dans la mise en scène de ce qui s’avère être le septième et ultime chapitre de la franchise. Laissez-moi vous exposer brièvement l’intrigue complexe de cette œuvre, dont le scénario peut sembler hermétique à première vue.

Alors que Wes Craven rédige en secret un nouvel épisode de la série Freddy, l’actrice Heather Langenkamp est hantée par d’effrayants appels téléphoniques anonymes. Son fils Dylan souffre de troubles du sommeil et lui confie qu’il est traqué en rêve par un croquemitaine aux griffes acérées. Heather commence à suspecter que seul Freddy pourrait être à l’origine de ces événements troublants.

Comme vous avez pu le remarquer, le nom de Wes Craven s’inscrit en lettres majuscules dans le synopsis principal de cette nouvelle réalisation. Dès la scène d’ouverture, il est évident que le film s’aventurera dans une mise en abyme de son propre univers, de sa propre création. S’agit-il d’un pur délire égocentrique ou d’une idée de génie ? Difficile à dire, mais il est indéniable que Wes Craven affectionne l’autodérision (n’oublions pas qu’il est le réalisateur de Scream), et de ce fait, cette œuvre, quelle qu’en soit la visée, se révèle être un témoignage captivant sur le mythe, son créateur et son époque.

Craven ébranle d’un simple claquement de doigts ce qui faisait la trame des innombrables suites, et nous épargne le risque qu’un nouveau venu reprenne le flambeau. Une introduction qui semble initialement suivre une trame familière déjà rencontrée auparavant, mais qui se révèle être un trompe-l’œil. Le gantelet mécanique et la main griffue de Freddy, tout comme le pull rayé, ne sont en fait que des éléments d’un rêve, celui de Heather Langenkamp, dont la vie se résume désormais à une série d’interviews où les journalistes lui posent inlassablement la même question : Freddy Krueger est-il vraiment mort ? Plus tard, sur un plateau de télévision, elle est surprise par la venue de Robert Englund, déguisé et grimé en son personnage. Plus tard encore, elle rend visite au producteur Bob Shaye à la New Line, qui lui révèle la volonté secrète de Craven de réaliser un dernier film Freddy. Elle croise alors Wes Craven, qui lui confie faire les mêmes cauchemars qu’elle, le poussant à anéantir une bonne fois pour toutes le mythe qu’il a lui-même créé.

Malgré certaines maladresses, des incohérences dans le récit et une écriture parfois ostentatoire, Craven achève la boucle. Il offre sa propre critique de la saga, jusqu’alors dictée uniquement par des motivations commerciales. Ce film aurait pu être son chef-d’œuvre s’il n’était pas par moments entravé par des artifices superficiels et une esthétique quelque peu chaotique, jusqu’à un dénouement assez décevant. Craven a retrouvé une parcelle de son talent, mais pas au point de créer une œuvre aussi magistrale que Nightmare on Elm Street, aussi saisissante que La Dernière Maison sur la Gauche, ou aussi captivante que son premier Scream.

LA FIN DE FREDDY : L’ULTIME CAUCHEMAR, RACHEL TALALAY, 1991.

À l’origine destiné à être l’épilogue de la saga, avant que Wes Craven ne décide autrement, le sixième volet voit Rachel Talalay, après avoir produit Les Griffes du Cauchemar (3) et Le Cauchemar de Freddy (4), prendre le risque de réaliser un “dernier” chapitre au style exclusivement cartoonesque. Cependant, en raison du manque de temps (les six premiers Freddy étant sortis en l’espace de six ans) et du déclin du genre slasher au début des années 90, causé par une surexploitation du concept, les producteurs de Freddy prennent la décision de mettre un terme aux aventures du tueur de Springwood. Il est donc urgent de liquider Freddy tant que cela peut encore rapporter un peu et avant que cela ne devienne trop coûteux. Mais comment procéder ? Avec déjà six films sur le sujet en six ans, trouver de nouvelles idées devient une tâche ardue.

Dès les premières scènes (comme la première apparition de Freddy sur un balai de sorcière…), les limites du projet deviennent évidentes. Alors que le scénario piétine, peinant à trouver sa voie malgré une intrigue initialement intéressante et profonde sur le papier, la réalisatrice semble désorientée, ayant visiblement oublié l’essence et la véritable nature du personnage de Freddy Krueger. Il est maintenant clair qu’il est impossible de revenir à un Freddy terrifiant ; cela a été compris depuis quelques épisodes déjà, où le personnage a été réinventé en une figure diabolique à l’humour noir. Cependant, ce sixième volet atteint des sommets de ridicule, au point que l’on se demande si ce n’est pas un canular orchestré pour le 1er avril. S’agit-il d’une parodie de la saga ? La question demeure en suspens.

Malgré l’écriture désastreuse du personnage de Freddy Krueger, ce sixième chapitre reste bref et divertissant. Il s’enchaîne aussi rapidement qu’un épisode de Tex Avery, tout en suscitant les mêmes railleries que celles que l’on pourrait adresser à un film policier noir (nanar) japonais réalisé par des adolescents de 15 ans. Bien loin d’être un chef-d’œuvre, souvent lamentable (surtout dans son final destiné à la 3D), mais étrangement amusant de manière involontaire.

FREDDY, LES GRIFFES DE LA NUIT (REMAKE), SAMUEL BAYER, 2010.

Comme toute franchise populaire qui se respecte, Freddy passe également par la case du remake, confié à un certain Samuel Bayer, toujours relativement méconnu à ce jour. Le postulat de base est repris avec l’intention de créer une nouvelle épopée au sein de la franchise, comme en témoigne la fin “ouverte” du long-métrage, un projet qui ne verra jamais le jour, heureusement.

Ce nouveau départ signifie également une nouvelle orientation. Adieu le génial Robert Englund, bonjour à Jackie Earle Haley. L’acteur avait précédemment brillé dans le rôle de Rorschach dans Watchmen, et le voir assumer le rôle du tueur d’Elm Street suscite l’espoir. Un tueur ? Pas vraiment. Fred Krueger n’est plus un tueur d’enfants, mais plutôt un pédophile, dans une volonté d’accentuer les enjeux (parce qu’apparemment, égorger des petites filles n’était pas assez scandaleux). Toutes les connotations sexuelles du personnage sont alors exploitées au premier degré, faisant de Freddy la manifestation tordue de la culpabilité éprouvée par les victimes de viol. Pourquoi pas, après tout ? Le concept même du tueur qui traque ses proies à travers leur subconscient est assez riche pour accueillir toutes sortes d’interprétations. Cependant, on ne peut s’empêcher de remarquer une lourdeur excessive dans les thèmes abordés et un jeu éteint de la part de Jackie Earle Haley, sans doute entravé par les multiples interprétations de Robert Englund. En somme, un film sur Freddy Krueger sans Englund ne peut être que décevant…

Même du point de vue de l’interprétation et du scénario, le film ne parvient jamais à nous captiver. Certes, on ne peut nier l’efficacité des effets spéciaux et de la mise en scène (à l’exception des “jump scares” ratés, probablement imposés par les producteurs). L’esthétique générale du long-métrage mérite également d’être saluée, tant elle parvient à satisfaire nos yeux avides de belles images. Malheureusement, il s’agit là de la seule qualité notable de ce remake, qui, malgré son aspect commercial évident, aurait mérité d’insuffler un nouvel élan à la saga.

FREDDY 5 : L’ENFANT DU CAUCHEMAR, STEPHEN HOPKINS, 1990.

Plongeons désormais dans les abysses de la saga, ces films que nous préférerions oublier, ceux qui méritent d’être relégués aux flammes. Et commençons par ce cinquième chapitre, réalisé par un Stephen Hopkins accablé par le temps, entravé par un scénario désespérément limité.

Une fois de plus, tout repose sur l’inébranlable présence de Robert Englund, car les personnages qui gravitent autour de lui n’ont plus aucune consistance. La maigre nouveauté ici réside dans le désir de Freddy de se réincarner dans l’enfant porté par Alice. Des idées de fusion étranges abondent, empruntant aussi bien aux délires plastiques d’Innerspace qu’à l’anxiété oppressante de Rosemary’s Baby, sans toutefois atteindre leur profondeur. Les films “Freddy” ont toujours eu une dimension érotique sous-jacente, les cauchemars des adolescents symbolisant le passage à l’âge adulte. Cependant, dans L’Enfant du Cauchemar, cette cohérence s’émousse quelque peu, car Freddy s’en prend à un enfant encore dans le ventre de sa mère, l’incarnation la plus pure de l’humanité. Par ce biais, Krueger lui-même se métamorphose en une figure de plus en plus grotesque, un bouffon clownesque qui ne suscite plus la moindre crainte et qui laisse d’ailleurs très peu de victimes sur son passage cette fois-ci.

Nous, spectateurs, décelons aisément le manque de temps et d’inspiration dont a souffert l’équipe créative derrière cet échec scénaristique. Rien ne se détache comme véritablement mémorable, tout semble être expédié à la hâte dans un souci de rentabilité.

LA REVANCHE DE FREDDY, JACK SHOLDER, 1986.

Comment peut-on tolérer l’existence de ce deuxième chapitre qui ose délaisser le postulat même de la franchise Freddy ? Ici, il ne se contente plus d’envahir les rêves ou cauchemars de ses victimes pour les terrifier ; non, il se permet d’intervenir dans la réalité, tel un Michael Myers. Cette décision scénaristique dénuée de sens prive Freddy Krueger de tout son charme, le réduisant à un simple boogeyman psychopathe assoiffé de vengeance. Dans l’ensemble, nous assistons à une histoire grossière de possession qui évoque un exorcisme sous l’effet du LSD. Le film débute avec la vivacité d’une limace sous sédatif, enchaînant des scènes frôlant le grotesque et des séquences aux connotations douteuses, avec un Freddy relégué au second plan au profit de pseudo-ados agaçants aussi captivants qu’un épisode de série télévisée pour adolescents. La résolution finale est si décevante qu’elle suscite la frustration chez plus d’un spectateur.

C’est une véritable insulte, non seulement envers son prédécesseur Les Griffes de la Nuit, mais aussi envers les fans du personnage, et surtout envers un Robert Englund qui se donne corps et âme pour donner vie à un néant…

RÊVE OU CAUCHEMAR ?

Malgré les nombreuses fautes de goût et le manque manifeste de temps pour élaborer une saga travaillée et cohérente, il faut bien reconnaître que cette franchise se positionne parfaitement entre le plaisir coupable et le récit solide, bien que perfectible. Le plaisir même devant les pires chapitres est indéniable ; le subjectif ressurgit souvent face aux idées (de mise en scène et/ou d’écriture) les plus surréalistes, impensables. Freddy demeurera à jamais une figure emblématique du genre. Au fond de nous, nous espérons qu’il ressurgira un jour dans un film ou une saga qui respectera le mythe Krueger, car cette peur semble véritablement intemporelle.

Par Louan Nivesse

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