[CRITIQUE] Rimini – Une puissance sociologique glaciale

À Rimini, ville hivernale, le voile n’est pas tout à fait tombé, nouveau lieu quelconque de la longue marche de la vie vers une mort certaine. Dans le dernier long métrage d’Ulrich Seidl, la ville titulaire sert d’espace paradoxal, entre tristesse et amnésie, ses horizons humides étant à la fois déconnectés de l’identité et chargés du poids du passé inachevé. Situé au large de la côte adriatique, dans le nord de l’Italie, et en proie à un blizzard apparemment éternel, Rimini suit la figure has been de Richie Bravo (Michael Thomas), une pop-star du rock et des chansons à texte désormais dépassées, marquée par la vieillesse, le sport extrême, l’alcoolisme et l’ennui total.

Plus fascinant encore, le film remet en question son statut de “has been” : de retour en Autriche pour enterrer leur mère décédée, Richie et son frère se souviennent du vin et du bon vieux temps, rappellent brièvement leur père infirme de sa maison de retraite et reprennent leurs routes respectives. Mais Richie Bravo a-t-il vraiment existé ? Sa renommée – une maison remplie de souvenirs, une obsession hermétique pour l’amour perdu, une vie entière passée à chanter dans des salons – semble de moins en moins certaine. Son nom, populaire des années 80 et 90, est encore moins connu aujourd’hui, étant plutôt réclamé par une femme mystérieuse qui se présente comme sa fille.

© Damned Films

Le portrait tranchant d’un personnage tragique réalisé par Seidl célèbre sa propre vision implacable, grâce à un réalisateur dont les analyses sociétales sont d’une précision effrayante et d’une misanthropie calculée. Filmé avec un aspect documentaire, Rimini s’immisce dans les mouvements quotidiens de Richie, dévoilant progressivement et dissimulant simultanément leur finalité. Il rend visite à plusieurs femmes pour le sexe, mais leurs relations avec lui sont empreintes de non-dits, elles le paient après l’acte, et pourtant c’est chez Richie que le désespoir transparaît de la façon la plus affligeante.

Lorsque sa fille lui demande de l’argent en compensation d’années de négligence et de dénuement, sa réaction aléatoire – d’abord le déni, puis le découragement – dit tout d’un homme perdu dans la solitude : il chante des airs larmoyants pour attirer les touristes nocturnes et éphémères (certains d’entre eux sont-ils devenus permanents ?), il se fraye un chemin dans des maisons abandonnées, il s’amuse à faire de l’ombre à ses amis et à sa famille, marchandant de petites sommes d’argent tout en louant des souvenirs de sa jeunesse à des personnes aussi fanatiques de lui que lui, et s’embourbant dans une stase angoissante, attendant l’improbable arrivée du printemps.

© Damned Films

On peut dire que tout cela est typique de Seidl : un peu trop classique, une pincée trop prévisible par moments, étant donné que l’absence d’une histoire plus poussée – suggérée par la brève rencontre de Richie avec son frère Ewald (Georg Friedrich) et susceptible d’être explorée dans un film complémentaire à venir, Sparta. C’est particulièrement vrai pour les fidèles du cinéaste, qui pourraient rejeter sa causticité édulcorée, presque dénaturée, mais c’est aussi une source d’inquiétude pour ses néophytes, plus susceptibles d’être catalogués dans un corpus plus large de misérabilisme autrichien. Cette caricature, néanmoins, possède une puissance sociologique glaciale dont les éléments dispersés capturent l’imaginaire culturel et libidinal d’une génération stratifiée, typiquement blanche, masculine, de classe moyenne, et ancrée à peu de choses au-delà des échos révolus de l’éminence sociale et de l’intimité utopique.

Le dévoilement par Seidl de ces tabous déconcertants reste marqué, mais il n’est pas simplement lié au sentiment abject de honte du spectateur. Au contraire, à travers l’objectif dépourvu d’humour de Rimini, on arrive à une prise de conscience existentielle et sobre de l’hiver de tout un chacun, qui n’est que la négation et le triste miroir de sa soif de vivre, autrefois vécue avec vivacité.

Note : 3.5 sur 5.

Rimini au cinéma le 23 novembre 2022.

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