[CRITIQUE] Maudit ! – La poupée Vaudou du colonialisme

Le troisième film d’Emmanuel Parraud est difficile à traiter tant l’ambiance est unique, voire trop singulière. Il se peut que Maudit ! déroute le public non averti. Celui-ci se place dans les paysages forestiers de l’île de La Réunion, nous y suivons Alix, un jeune habitant de la région, aimable, avec une envie certaine de travailler. Le jeune homme, un soir de brume rend visite à son ami. Le lendemain de cette soirée alcoolisée, son ami disparaît. Dans l’incompréhension, il tente d’enquêter sur sa disparition, hanté par des regards accusateurs et par l’histoire violente de l’île. Derrière ce postulat se cache un scénario nettement plus politique, que Parraud va mettre en scène de façon à ce que toute la psychose de notre protagoniste côtoie le genre du fantastique, de l’horreur.

Très vivement guidée du Vaudou de Jacques Tourneur, l’imagerie de Jeremy Rossi conditionne somptueusement cette atmosphère froide, quelque peu paranoïaque. Entre les plans paysages où les nuages surplombent les villages, les plans où les personnages sont perdus dans ces étendues de nature, les séquences de rêve (ou cauchemar) où Alix semble remarquer des silhouettes qui disparaissent d’un coup d’un seul, toute l’imagerie de ce long-métrage que l’on ressent fauché parviennent à toucher le sublime, ce genre d’image de cinéma que l’on aime contempler. Le montage de Grégoire Pontécaille est également à saluer. Courant dans ce qu’il veut faire, il le fait avec la maitrise que mérite son sujet. Les séquences de cauchemar paraissent fluidement foutraques : la caméra va dans tous les sens, là où le montage se permet de tout ramener en ordre pour perdre le spectateur sans qu’il ne se désintéresse. Une équivoque comparable à Paranoïa de Steven Soderbergh, où la débauche de Farouk Saidi rejoint celle de Claire Foy, à quelques détails près.

La beauté de la Réunion.

Habilement, le scénario d’Emmanuel Parraud nous fait penser cette perdition psychologique, or (et malheureusement) les propositions physiques de Saidi et des autres acteurs n’arrive pas à rendre crédibles ces idées. Souvent en décalage, trop répétés, trop didactiques, là où les dialogues fonctionnent, les mouvements des acteurs paraissent préparés. C’est ce que l’on retrouve souvent avec les comédiens qui débutent, voire ceux qui viennent de la scène. Ces erreurs ne nuisent pas à la pertinence du propos, cependant, ils nuisent au genre. L’horreur et le fantastique sont des genres qui demandent au metteur en scène de ne pas briser la suspension consentie de l’incrédulité de ses spectateurs, mais dans Maudit !, sa plus grosse faiblesse est de souvent rabaisser ses personnages au niveau d’acteur, à cause d’une direction trop indulgente envers leurs chorégraphies, leurs déplacements. Les genres s’effacent peu à peu, à cause du message politique qui devient trop frontal. Il était bien plus plaisant quand celui-ci semblait bien plus suggéré et raffiné. Ça n’enlève en rien la convenance de sa critique de l’impérialisme français encore au sein de ses anciennes colonisations (comme ici l’Île de la Réunion), pourtant, ça détourne le film vers quelques scènes efficaces, de toute évidence, néanmoins plus traditionnellement rebelles. On peut citer la séquence où Alix se retrouve comme un objet confiné de contemplation pour les touristes français, symbole d’un vestige du passé que l’on met en lumière au gain de l’art. Un acte inopportun pour les personnages, une scène choc pour le spectateur, en quelque sorte un “aveu d’échec” pour Parraud, lui qui semblait tant vouloir être délicat.

De quoi nous faire oublier les terribles nuits américaines de Zombi Child.

Ce qui en résulte, c’est que Maudit ! est loin d’être sans intérêt. Emmanuel Parraud s’empare de ses maladresses pour enrober un certain OFNI (objet filmique non identifié) qui laissera assurément beaucoup de spectateurs sur la touche. C’est un film de genre fantastique politique qui a beaucoup de choses à dire, parfois pas de la meilleure des manières, mais qui a au moins le mérite d’intriguer jusqu’à ses (magnifiques) dernières secondes. On oubliera surement le discours, ce qui est sûr, c’est que l’on retiendra des images. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’on ne peut que vous encourager à le découvrir en salle, rien que pour l’ambiance parano-visuelle traitée avec maestria.

Note : 3 sur 5.

Maudit ! au cinéma le 17 novembre 2021.

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