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[CRITIQUE] Maldoror – le mal de l’horreur

Maldoror est sans doute le projet le plus ambitieux de Fabrice du Welz. Pendant plus de 2h30, le réalisateur retrace l’une des affaires les plus marquantes de l’histoire de la Belgique : la traque de Marc Dutroux. Rebaptisé ici Marcel Dedieu, on suit Paul Chartier, un gendarme incarné par Anthony Bajon, qui, au fil des années, devient de plus en plus obsédé par ce meurtrier.

Fabrice du Welz est un cinéaste qui aime flirter avec l’horreur. Certains de ses films, comme Calvaire, appartiennent pleinement à ce genre, tandis que d’autres s’en approchent par touches. Le metteur en scène s’efforce toujours d’instaurer une atmosphère angoissante, que ce soit par ses décors ou la maîtrise du montage sonore. Avec Maldoror, le sujet même le plonge dans une ambiance malsaine. Pourtant, malgré un postulat terrifiant, ce long-métrage se révèle peut-être être le plus sage et le plus classique de son œuvre.

Cette impression découle de plusieurs éléments, qu’il s’agisse d’un schéma narratif déjà-vu ou d’une direction d’acteurs qui semble bien éloignée de celle qu’on associe habituellement à du Welz. Avec des comédiens comme Benoît Poelvoorde, Chadwick Boseman ou Laurent Lucas, il réussissait à les modeler pour qu’ils s’intègrent parfaitement à ses univers si singuliers. Ici, Anthony Bajon, Manenti et même Lucas livrent des performances correctes, mais loin de l’originalité des autres œuvres du cinéaste. Du Welz semble s’accommoder d’un travail très conventionnel, où sa signature visuelle se fait presque imperceptible. Peut-être que l’ampleur de Maldoror a fini par étouffer son style.

Copyright The Jokers Films

La longueur du film, 2h30, soulève également des questions sur la pertinence de certaines scènes dédiées à caractériser le protagoniste. Si la caractérisation est cruciale pour s’attacher aux personnages, ici, Paul Chartier reste une coquille relativement vide, car chaque scène d’exposition semble marteler les mêmes aspects de sa personnalité. On pourrait aller jusqu’à dire que ce qui a été projeté à l’Étrange Festival ressemblait à une séance-test, tant il serait possible de couper 30 ou 40 minutes sans nuire à l’intrigue. Certaines scènes, comme celle du mariage de Bajon avec Alba Gaïa Bellugi, paraissent interminables, durant plus de 10 minutes juste pour introduire la mère du personnage.

Les personnages féminins, jamais le point fort des films de du Welz, sont ici particulièrement effacés. Qu’il s’agisse de Bellugi ou de Béatrice Dalle (qui joue la mère de Chartier), elles apparaissent comme totalement accessoires dans ce récit centré sur les hommes. Elles sont présentes, certes, mais chacune de leurs scènes répète les mêmes enjeux, rendant leurs personnages cruellement vides. Bellugi incarne simplement une épouse, puis une mère, sans jamais influencer l’action, tandis que Dalle n’a droit qu’à un rôle de simple macguffin pour conclure une intrigue déjà trop longue. Si l’on devait retenir une performance, ce serait celle de Sergi López, véritablement terrifiant, bien que parfois desservi par des dialogues absurdes, comme lorsqu’il est forcé de dire à un personnage de “sucer un Calipo.”

Copyright The Jokers Films

Du Welz peine à caractériser ses personnages, mais il échoue également sur le plan de la réalisation. Si l’on met de côté l’accident qu’était Colt 45, Maldoror est probablement son film le plus mal réalisé. Toujours attaché à la pellicule, du Welz produit ici de belles images qu’il sabote en proposant peu d’idées pour les sublimer. Les scènes d’action abusent de la shaky cam, et le cadrage est souvent si confus qu’il est difficile de comprendre ce qui se passe à l’écran. Une exception : une scène de fusillade chez Chartier, où enfin, l’affrontement est lisible. Le reste est soit oubliable, soit carrément raté, à l’image de champs-contrechamps qui évoquent les pires moments des Animaux Fantastiques 3.

Malgré sa durée conséquente, Maldoror passe à côté de certains de ses thèmes. En se concentrant trop sur l’état d’esprit de Chartier, du Welz oublie un aspect pourtant fondamental de l’affaire Dutroux/Dedieu : la faillite des institutions belges. Le carton au début du film mentionne bien le manque de communication entre gendarmerie, police municipale et police judiciaire, mais ce thème central n’est traité qu’en sous-texte et n’occupe que quelques scènes. Le spectateur se retrouve face à un drame familial sur fond d’enquête, où les véritables enjeux sociétaux sont relégués au second plan.

En choisissant une structure plus classique, du Welz semble étouffer son cinéma au profit d’un récit de fait divers. Maldoror partage beaucoup avec Prisoners de Denis Villeneuve, que ce soit par son protagoniste ou par certains éléments de l’intrigue, mais échoue à rendre tangibles les dysfonctionnements des forces de police belges. Ce qui aurait pu être un grand thriller horrifique se réduit à un objet au scénario et aux personnages superficiels, mal mis en scène. De la part de Fabrice du Welz, on en attendait bien plus.

Maldoror de Fabrice du Welz, 2h35, avec Anthony Bajon, Alba Gaïa Bellugi, Alexis Manenti, Sergi López – Au cinéma le 15 janvier 2025

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