[CRITIQUE] Making of – Ça tourne à Balle !

Après avoir secoué Cannes avec son Procès Goldman, Cédric Kahn revient quelques mois plus tard pour nous offrir un aperçu de sa personne à travers son nouveau film, Making Of. Tout comme The Fabelmans et Armageddon Time, qui explorent respectivement la jeunesse de Steven Spielberg et de James Gray, ou encore Empire of Light et Ça tourne à Séoul ! de Sam Mendes et Kim Jee-woon, ces réalisateurs ont manifestement la volonté de se mettre en avant et d’explorer leur propre médium cinématographique. Peut-être cela découle-t-il de la période de confinement et du sentiment de solitude, poussant les cinéastes à se rapprocher de leur propre essence. Ainsi, après que Michel Gondry ait confié à Pierre Niney le rôle d’un réalisateur excentrique, Denis Podalydès incarne quant à lui un cinéaste quadragénaire rongé par le doute.

Parmi les films mentionnés précédemment, Making Of se rapproche particulièrement de Ça tourne à Séoul !, car Kim et Kahn cherchent à dévoiler les coulisses chaotiques d’un plateau de tournage et à explorer toutes les personnes impliquées dans ce processus de création. Il se distingue par son absence de véritable protagoniste, optant plutôt pour une perspective changeante à travers différents personnages. Un premier problème émerge donc : tous les chemins ne se valent pas, en grande partie à cause d’une écriture parfois maladroite de certains personnages. Si certains brillent, comme Jonathan Cohen, qui trouve peut-être son rôle le plus captivant depuis Enorme, d’autres s’égarent rapidement dans une trame scénaristique ennuyeuse et trop construite. Un exemple flagrant est le personnage de Stefan Crepon, dont le comportement et les actions suscitent le dégoût, même si le réalisateur tente à de nombreuses reprises de susciter de l’empathie envers lui et les épreuves qu’il traverse.

Copyright David Koskas

Les limites de l’écriture ne se résument pas aux personnages. En effet, dans ce film où Kahn met en scène un tournage ainsi que sa propre personne, le réalisateur fait souvent l’erreur facile et peu intéressante de recourir à la mise en abyme à répétition, où les actions des personnages derrière la caméra se répètent sur le tournage ou dans leur vie en dehors du travail. Ce procédé, à la fois simpliste et peu judicieux, revient de manière récurrente, rendant par moments le film, d’une durée de deux heures, épuisant à suivre. Pourtant, Making Of n’est pas sans qualités. Parmi tous les personnages du film, certains sont véritablement passionnants. Comme mentionné précédemment, Jonathan Cohen incarne un personnage qui suscite un intérêt certain, surtout pour ceux qui le connaissent déjà un peu. Bien que son rôle reste dans un registre comique, il joue un acteur totalement imbu de lui-même et antipathique à chaque prise de parole. Si nous sommes habitués à voir Cohen délivrer des répliques acerbes, nous le sommes moins à le voir incarner un personnage détestable sous tous les aspects. L’acteur insuffle souvent une bouffée d’air frais bienvenue ponctuée de clins d’œil à sa propre personne.

Un autre aspect marquant réside dans la manière dont il parvient parfois à être mis en scène avec justesse. Il est d’autant plus frustrant de constater ces répétitions de mise en abyme, car Kahn démontre à maintes reprises son talent. Les plans de foule et les moments où le chaos s’infiltre progressivement sur le plateau de tournage sont exécutés avec une grande maîtrise. Toutefois, là où le réalisateur français excelle vraiment, c’est lorsque sa caméra adopte un point de vue totalement inattendu, décalant ainsi la tonalité de la scène. Grâce à de simples changements de plans, Kahn parvient à amplifier les émotions ressenties par les personnages à un instant donné, rappelant ainsi qu’il est le réalisateur du Procès Goldman.

Malheureusement, handicapé par son dispositif répétitif et par cette tendance peu pertinente à se mettre en avant, Cédric Kahn manque la cible avec Making Of. Néanmoins, le réalisateur démontre son talent à plusieurs reprises, grâce à son génie et à un casting solide. Bien meilleur que les décevants Ça tourne à Séoul ! et Empire of Light, le nouveau film de Cédric Kahn laisse un goût amer d’œuvre introspective, peut-être utile pour le cinéaste lui-même, mais clairement dispensable pour le spectateur.

Making-Of de Cédric Kahn, 1h54, avec Denis Podalydès, Jonathan Cohen, Stefan Crepon – Au cinéma le 10 janvier 2024

7/10
Note de l'équipe
  • Alexei Paire
    7/10 Bien
  • Vincent Pelisse
    6/10 Satisfaisant
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