[CRITIQUE] Los Delincuentes – Quand braquage rime avec surcadrage (FEMA 2023)

D’habitude, je commence mes critiques en vous donnant un court synopsis du film. Mais aujourd’hui, j’aimerais plutôt faire une parenthèse et vous parler de la manière dont il sera distribué en France. Lorsqu’il a été sélectionné à Un Certain Regard à Cannes 2023, il a été repéré par deux distributeurs indépendants, JHR Films et Arizona Distribution. Au lieu d’enchérir pour obtenir les droits de distribution de ce long-métrage, ces deux distributeurs indépendants ont décidé de s’associer et de proposer une codistribution. Une méthode rare mais pleine d’espoir, qui redonne de l’importance à la solidarité dans ce milieu fragile qu’est la distribution indépendante. C’est une initiative que nous souhaitons saluer avant de parler plus en détail de ce film de braquage mélancolique.

Los Delincuentes raconte le destin de Moran et Roman, deux argentins travaillant dans une banque. Ils mettent en place un plan original : voler l’équivalent d’un an de salaire dans le coffre-fort, afin de rompre avec la routine et de cesser de travailler. S’ensuivent des situations comiques, des rencontres risquées et une cavale qui nous fait traverser différents genres cinématographiques. Ce long-métrage de trois heures passe pourtant à une vitesse folle, notamment grâce au mélange des genres qui nous tient constamment en haleine. Que ce soit ce braquage lent et ennuyeux, ce polar tendu et surprenant ou cette comédie qui se révèle par moments inattendue, Los Delincuentes est un film inclassable. Mais c’est justement ce qui fait sa force : une œuvre unique qui, en trois heures, exprime beaucoup sur ses personnages et sur cette profonde tristesse qui les habite.

Copyright Arizona Distribution / JHR Films

Dans sa première partie, le film met l’accent sur deux éléments. Premièrement, sur l’inhumanité du travail. C’est ce qui aliène les habitants de Buenos Aires, des tâches sans émotions qui engendrent une routine morbide. À l’opposé de cet emploi morne, les moments de contemplation du film suscitent donc l’envie d’ailleurs, d’échapper à une société qui ne jure que par les heures de travail et les bénéfices. Deuxièmement, la gestion de l’argent. Toutes les relations humaines de la première partie sont construites autour d’une marchandisation constante, entraînant une perte des sentiments humains. Au fil du long-métrage, les frontières et les environnements se modifient pour nous guider vers un ailleurs, vers une société plus juste.

Les décors du film jouent un rôle particulièrement important. En partant d’un environnement, la banque et Buenos Aires, où les personnages sont constamment enfermés dans un cadre étroit, on se libère déjà. Presque chaque plan de la première heure du film présente un encadrement dans l’encadrement, signifiant l’enfermement et l’aliénation des protagonistes. Dans leur quête de liberté, ils vont donc se défaire des contraintes de la société, ainsi que de la mise en scène de Rodrigo Moreno, le réalisateur du film. Et c’est là que Los Delincuentes devient une petite merveille. En faisant de cette quête de liberté une idée qui se traduit à la fois dans le fond et dans la forme, on ne peut s’empêcher d’être émerveillé. Ce vagabondage mélancolique qui suit le braquage permet alors au spectateur de redécouvrir le film, qui se permet des plans bien plus libres.

Copyright Arizona Distribution / JHR Films

Lorsque l’on regarde une œuvre, on ne peut s’empêcher de la mettre en résonance avec notre quotidien, même si elle vient d’autres pays ou d’autres époques. Et dans notre quotidien, une société contrôlée par le monde du travail et de l’argent, ce long-métrage est une bouffée d’air frais. Alors que même le monde artistique, y compris le cinéma, devient complètement obnubilé par la marchandisation, Los Delincuentes incarne un espoir. La distribution de ce long-métrage, dont j’ai parlé en introduction, est en parfaite adéquation avec les messages incarnés par Rodrigo Moreno. Lorsqu’une œuvre parvient à traduire son désir de liberté jusqu’à sa codistribution à l’étranger, on ne peut que la saluer.

C’est quoi le cinéma selon Rodrigo Moreno ? C’est une manière intégrale de transmettre ses idées. Il ne se limite pas aux questions thématiques ou à la mise en scène. Cette liberté grandissante se retrouve dans les choix musicaux, dans les mouvements de caméra, dans les multiples rebondissements narratifs et même dans la distribution indépendante. On ne peut qu’aimer cette fresque de trois heures, qui capture avant tout votre temps.

Los Delincuentes de Rodrigo Moreno, 3h00, avec Esteban Bigliardi, Margarita Molfino, Mariana Chaud – Projeté à la 51e édition du Festival La Rochelle Cinéma, au cinéma le 27 mars 2024

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