[CRITIQUE] Les Intranquilles – Le stéréo type

Les représentations de la santé mentale sur grand écran perdent souvent toute nuance au profit de stéréotypes exagérés, représentant de manière inexacte de nombreuses expériences de vie avec des conditions spécifiques. C’est certainement le cas pour le trouble bipolaire, car les cinéastes montrent généralement les personnes touchées dans un état de troubles persistants plutôt que dans des instants occasionnels. À ses débuts, Les Intranquilles de Joachim Lafosse, semble offrir un correctif rafraîchissant à certains des récits cinématographiques les plus néfastes sur la bipolarité. Le premier acte présente Damien (Damien Bonnard), un peintre à succès qui cherche à garder son calme pendant ses vacances avec son épouse Leïla (Leïla Bekhti) et leurs enfants. Son trouble se caractérise par un état d’agitation sous-jacente, le désir d’être toujours en train de cuisiner, de nager, de passer souvent des jours sans dormir à cause de son besoin constant d’activité. Il lui arrive parfois de faire des acrobaties potentiellement dangereuses, par exemple, laisser leur jeune fils naviguer sur un bateau de location en raison d’une envie soudaine de regagner le rivage à la nage, mais la famille a appris à s’adapter à ces situations et à lui demander de l’aide lorsqu’elles se produisent.

La relation entre Damien et Leïla est saine. Même si elle n’est pas exempte de disputes, on ne sent pas que son état de santé va les séparer ou l’empêcher d’être un bon père. Il s’agit d’une première partie moins dépendante des stéréotypes, plus éclairante sur les effets à long terme de la vie avec ce trouble sur une famille, il n’y a aucune suggestion que, comme dans un film comme Happiness Therapy, une vie romantique et familiale épanouie s’est avérée être un mal nécessaire à sa condition. C’est quelque chose avec lequel ils doivent vivre, et la plupart du temps, cela ne les affecte que de façon minime. Malheureusement, ce portrait dépourvu de sensationnalisme ne soutient le drame que pendant un certain temps. Au fur et à mesure que le film avance, Lafosse commence à utiliser plusieurs stéréotypes de “génie torturé” pour illustrer la relation entre Damien et son œuvre, la performance de Bonnard reposant de plus en plus sur des tics de comportement au fur et à mesure que l’histoire progresse. Une séquence prolongée où l’on voit Damien peindre frénétiquement, peu de temps après avoir reçu une légère pression pour rester concentré sur son travail, semble inaugurer immédiatement les pires conventions de narration lorsqu’il s’agit de traiter un véritable problème de santé mentale. Dans le passé, beaucoup se sont opposés à ce que les troubles bipolaires soient réduits à des accès de violence et à une agressivité argumentée. Fâcheusement, au cours de la seconde moitié du film, une représentation plus nuancée s’épanouit en une représentation entièrement basée sur ces caractéristiques. Le fait que les personnages principaux portent le nom des acteurs qui les incarnent est à peu près la seule chose qui sonne vrai.

Sublime photo de Jean-François Hensgens.

Nous découvrons le père et le fils en train de naviguer sur une étendue d’océan isolée (le directeur de la photographie et collaborateur régulier de Lafosse, Jean-François Hensgens, met en valeur une nuance de bleu presque impossible), leur maison de vacances comprenant une piscine et une cuisine tout droit sortie d’un film de Nancy Meyers. Leur maison actuelle est tout aussi désirable : un manoir de campagne caché, niché près d’un village pittoresque. Le fait de placer le drame dans ce cadre, vraisemblablement pour forger une contradiction entre le récit et le lieu, ne sert qu’à produire l’effet inverse, donnant souvent l’impression d’une aspiration inconfortable dans sa description de la richesse de la classe moyenne supérieure. Cela m’a rappelé le récent film de Harry Macqueen, Supernova, une autre œuvre bien intentionnée sur la gestion d’une maladie, qui a achoppé sur sa volonté de fonctionner comme un carnet de voyage dans la pittoresque région des lacs en Angleterre. Ce n’est pas que les drames sur les familles riches qui apprennent à gérer des conditions traumatisantes ne puissent pas être touchants, mais le fait d’encadrer leur cadre plus large sous un tel angle ne sert que de technique de distanciation, au mieux de distraction.

Le seul aspect potentiellement éclairant de la seconde moitié de Les Intranquilles est l’introduction du COVID dans son récit, et la façon dont les personnes atteintes d’affections excessives ont appris à s’adapter à une nouvelle normalité caractérisée par un isolement social accru. Naturellement, le film trébuche sur ce point, les masques sont certes omniprésents dans les deuxième et troisième actes, mais la seule séquence directement liée à la pandémie voit Damien entrer dans une boulangerie, sans masque, pour souffler sur un couple de personnes âgées et acheter tout le stock de gâteaux. C’est une occasion manquée de trouver quelque chose de révélateur au milieu de stéréotypes trop familiers et souvent inconfortables. Il est certain qu’il y a eu de pires représentations de la bipolarité à l’écran que Les Intranquilles, qui est largement inoffensif malgré son recours aux stéréotypes. Au lieu de cela, on a l’impression d’une occasion manquée frustrante, optant systématiquement pour le mélodrame lorsqu’il s’agit d’explorer sérieusement son sujet.

Note : 2.5 sur 5.

Les Intranquilles au cinéma le 29 septembre 2021.

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