Un simple regard vers l’horizon parvient parfois à dissiper les illusions que nous tissons autour d’une création cinématographique. Dès que l’écran se pare des traits d’Adam Bessa, l’incarnation du protagoniste de Les Fantômes conçu par Jonathan Millet, et que résonne l’assertion fière “Inspiré de faits réels”, le voile se déchire sur la scène à venir. À cet instant, une intuition se dessine : la pellicule ne saurait dévoiler davantage que les mots déjà murmurés.
Nous suivons ainsi Hamid, membre d’une organisation secrète traquant les criminels de guerre syriens dissimulés en Europe. Sa quête le mène à Strasbourg, sur les traces de son ancien bourreau, initiée par un jeu de piste et de preuves. Dans ce récit, l’occasion s’offre de concevoir un thriller paranoïaque, digne de La Loi de Téhéran pour sa tension et de La Conspiration du Caire pour son ambiguïté.
Cependant, malgré cette promesse, le film souffre d’une mise en scène qui s’efface dans l’ombre et d’un texte qui transpire tant d’efforts pour rester pertinent qu’il en devient pesant. Ironiquement, Les Fantômes semble dénué d’âme, englué dans sa volonté de refléter une réalité au détriment du suspense qu’il aurait pu générer. La caméra suit docilement, s’installe pour le plan, s’ajuste pour le contre-champ, dans une routine qui s’éternise. Les décors changent, annotés à l’écran, nous les suivons, et ainsi de suite.
Pourtant, une idée émerge lorsque “le groupe” discute de la guerre en Syrie, transformant cette conversation en une voix off accompagnée d’images de guerre tirées d’un jeu vidéo réaliste. Cette approche transcende la simple économie de moyens, évoquant une réflexion sur la banalisation de la violence dans l’art. L’histoire vraie s’estompe pour laisser place à l’imagination du joueur, seul maître de ses actions et de ses choix dans ce monde virtuel. C’est là que réside l’intérêt.
En dépit de quelques fulgurances, comme la longue scène en champ-contrechamp dans un restaurant où Hamid est invité par sa cible, chaque réponse de cette dernière chargée d’ambiguïté, la tension réelle se fait rare. Une référence à Heat de Michael Mann s’esquisse, mais là où la caméra aurait pu insuffler un sentiment de domination, elle reste sage. Le film parvient néanmoins à captiver pendant plus d’une heure et quarante minutes, bien que son rythme en montagnes russes déroute, passant de la paranoïa aux enjeux politiques et aux traumatismes de la guerre. Les quinze dernières minutes tentent de tout résoudre, mais l’obsession à respecter l’aspect “Inspiré de faits réels” semble entraver la narration.
Les Fantômes de Jonathan Millet, 1h46, avec Adam Bessa, Tawfeek Barhom, Julia Franz Richter – Au cinéma le 3 juillet 2024.