[CRITIQUE] Les Amants sacrifiés – Le petit Kurosawa

Les Amants sacrifiés de Kiyoshi Kurosawa est une combinaison fascinante de cinéma de genre à l’ancienne et de la sensibilité austère et fataliste de son réalisateur. Situé dans le Japon de la Seconde Guerre mondiale, le film suit Satoko Fukuhara (Yu Aoi) alors qu’elle est aux prises avec les aspects peu recommandables du régime impérial de son pays bien-aimé. Déchirée entre sa loyauté envers son pays (représentée principalement par le policier militaire Taiji, interprété par Masahiro Higashide) et l’amour qu’elle porte à son mari (Issey Takahashi), sympathisant des Alliés, Satoko est confrontée à une série de scénarios sans issue, opposant essentiellement un personnage aux deux pôles de la loyauté et de la déloyauté nationales.

En tant qu’histoire d’un espion et de sa confidente incertaine, le film renvoie aux thèmes de la loyauté romantique éprouvée dans les films d’espionnage hollywoodiens des années 30 et 40 tout en défiant l’hommage pur et simple. Le film de Kurosawa est fermement ancré dans le décor, incorporant des plans moyens classiques et recréant au moins l’un des plans les plus cités de l’histoire du cinéma (le fait de regarder, de profil, à travers un petit trou de l’œil, à la Psychose), mais son sens particulier du contrôle des tons condamné et sa dépendance à l’égard de l’éclairage naturel brutal de ses caméras numériques placent immédiatement son approche en désaccord avec les magnifiques noirs profonds du cinéma classique en noir et blanc. Pour accentuer encore cette distance, Kurosawa demande même à son personnage de réalisateur de vérifier le nom du directeur Kenji Mizoguchi, un styliste visuel légendaire dont la maîtrise du contraste noir et blanc était d’une beauté indescriptible.

Le jeu de la dame.

La qualité de l’image numérique et l’aspect facile à suivre du triangle amoureux du scénario font de Les Amants sacrifiés un point d’entrée très accessible, bien que légèrement déséquilibré, dans le cinéma de Kurosawa. Le réalisateur des films d’ambiance cultes Pulse et Cure est surtout connu pour ses films plus froids et plus baroques, alors que Les Amants sacrifiés est très direct dans l’approvisionnement de la motivation et ne possède pas, à première vue, le sens du rythme de ses films précédents. La luminosité de ses décors, cependant, prend un aspect plus funeste au fur et à mesure que le drame se déroule, jusqu’à ce que l’on soit soudain pris au piège des horreurs de la guerre, sans pouvoir se retourner et sans pouvoir détourner le regard. Il s’agit d’une image en profondeur à son meilleur, fournissant une multitude de détails en arrière-plan et plaçant parfois la caméra à un ou deux pieds plus loin de ses sujets que ce qui est confortable. Le sens de la tension formelle troublante de Kurosawa est encore très présent ici.

Espionne pour cible.

Pour ce qui est du scénario et des placements de caméra (généralement assez larges pour décrire deux personnages en conflit, se déplaçant si nécessaire pour s’adapter aux interprètes et incorporer les artifices de la mise en scène brillante de Kurosawa), Kurosawa visualise soigneusement les diverses confrontations du scénario. Dans la première scène de Yusaku et Taiji, Taiji, dos à la caméra, est projeté contre Yusaku dans des dispositions de plus en plus serrées à mesure qu’il révèle qu’il menace son ami, dans une scène ultérieure, Yusaku est rendu massif par la proximité de la caméra alors qu’il va interroger sa femme, la tête coupée de son corps par son épaule, incroyablement petite contre lui et à part. Dans l’une des plus belles réussites de Kurosawa, le mari et la femme se tiennent l’un l’autre dans le tiers droit d’une composition qui, autrement, se limite à un vaste couloir noir. L’épouse d’un espion s’intéresse aux pièges, aux plans les mieux conçus et aux résultats moraux potentiels mis à mal par l’abîme, la marche du temps et la fin de la guerre que nous savons tous imminente. Kurosawa nous indique la voie à suivre dans les grandes lignes, mais ne parvient à la même chose que dans la façon dont il bloque ses acteurs.

Les Amants sacrifiés est une œuvre tout à fait captivante, réalisée par un talent singulier, qui tranche avec le style de Kurosawa et celui de ses diverses influences de manière galvanisante. Bien qu’il ne s’agisse pas de l’œuvre la plus aboutie du réalisateur en plus de 40 ans de carrière, même les qualités les plus artisanales de Les Amants sacrifiés mettent en évidence son esprit véritablement cinéphile.

Note : 3.5 sur 5.

Les Amants sacrifiés au cinéma le 08 décembre 2021.

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