Christian Petzold est l’auteur du cinéma allemand contemporain le plus captivant. Avec son nouveau long-métrage, intitulé Le Ciel Rouge, il livre une œuvre insaisissable, un film-caméléon en somme. Ce récit inclassable raconte les congés en mer Baltique de deux amis en quête de calme pour finaliser leurs projets personnels. Léon s’attelle à terminer son roman intitulé “Club Sandwich“, tandis que Felix cherche l’inspiration pour son projet photographique sur la mer. Cependant, leur séjour est rapidement perturbé par la présence de Nadia et de son ami Devid, qui résident dans la même maison. Alors que les tensions, les jalousies, les rancœurs et les désirs s’exacerbent entre les personnages, ils ne perçoivent pas l’ampleur du danger qui se profile. Autour d’eux, rien ne semble pouvoir arrêter les immenses incendies estivaux. Les flammes se rapprochent inexorablement, prêtes à embraser les cœurs et les forêts.
Avec Le Ciel Rouge, Petzold rend un vibrant hommage à Éric Rohmer, le cinéaste qui l’a accompagné durant le confinement. Heureusement pour nous, les films rohmeriens sont parfaits pour l’été. Petzold analyse avec une simplicité captivante les émotions des personnages et l’évolution de leurs relations. Le personnage le plus intéressant est Léon, constamment aigri et renfrogné. Le film adopte son point de vue, souligné par la musique principale intitulée “In My Mind“, qui renforce cette approche. Pourtant, Léon reste constamment à l’écart, refusant de participer aux activités ou de faire connaissance avec ses colocataires, ce qui le place dans une position d’observateur qui analyse sa propre vie. Cette mise en retrait du personnage fait de lui le dernier à être informé des événements, que ce soit les relations sexuelles entre les autres personnages, la progression des incendies ou même les changements basiques de ses amis. Le retard de Léon se répercute sur le spectateur, qui ne peut jamais deviner la suite de l’histoire. Le Ciel Rouge débute comme un film d’horreur, puis se transforme en drame romantique, pour finalement surprendre en devenant un film catastrophe. Les genres et les codes se mêlent pour créer une œuvre captivante, qui nécessite de la suivre aveuglément, sans repères, à l’image de ce que les générations futures devront affronter face aux conséquences de l’inaction climatique.
La structure du Ciel Rouge est plutôt intéressante. Au cours des deux premiers tiers du film, Petzold installe ses personnages dans une sorte de routine. On observe le misanthrope Léon et la joyeuse Nadia (encore une collaboration entre Petzold et Paula Beer) s’enfermer dans leurs habitudes. En arrière-plan, de nombreux signes annonciateurs d’une horreur imminente apparaissent, tels que les bruits d’un sanglier, les alertes des pompiers, le fameux ciel rouge et bien d’autres indications d’un malheur inéluctable. Puis, dans le dernier acte, un tourbillon d’émotions et de destruction se déchaîne, mobilisant tous ces éléments désormais familiers simultanément. La panique des personnages se répercute sur le spectateur, qui se retrouve entraîné au cœur des fameux incendies auxquels ils s’obstinaient à ne pas croire. Le vent, brise omniprésente qui importunait Léon depuis le début, le feu qui se rapproche, la mer qui effraie notre protagoniste et l’espace terrestre qui se rétrécit : ce climax ressemble à une bataille des éléments. La fragile routine derrière laquelle Léon s’abritait vole en éclats et l’oblige à affronter la réalité. Le Ciel Rouge n’est qu’un classique “coming-of-age“, utilisant simplement le film catastrophe et l’influence de Rohmer pour atteindre ses objectifs. La période post-incendie est dévastatrice, non seulement parce que nous devons faire face aux conséquences, mais surtout parce que l’absence de tout son nous rappelle notre lamentable inaction face au réchauffement climatique.
C’est quoi le cinéma selon Petzold ? Le cinéaste, maintes fois récompensé, se lance ici dans l’inconnu le plus total. Il abandonne le vieux monde, le condamne même, pour décrypter l’avenir. L’apparente tranquillité qui ouvre ce film de vacances a disparu à la fin. Les protagonistes ont dû subir une forme de châtiment pour avoir ignoré l’avancée des flammes. C’est un avertissement pour les jeunes générations qui devront être attentives aux nombreux risques climatiques. Le Ciel Rouge est déjà là, il nous appartient de lever les yeux vers le ciel. Pour conclure sur ce très beau et dense film, qui pourrait presque être considéré comme un testament pour Petzold, je vais simplement revenir sur l’Asra. Il s’agit d’un poème récité par Nadia dans le film, destinant certains personnages à un destin morbide. Pourtant, Paula Beer et Petzold parviennent à en faire une déclaration magnifique. C’est une preuve supplémentaire que le cinéma a le pouvoir de transformer la mort en vie, les flammes en beauté et l’extinction annoncée en une survie prolongée.
Le Ciel rouge de Christian Petzold, 1h42, avec Thomas Schubert, Paula Beer, Langston Uibel – Projeté à la 51e édition du Festival La Rochelle Cinéma, au cinéma le 6 septembre 2023