[CRITIQUE] Days – Douce solitude

Après une diffusion discrète sur Arte fin 2020, le dernier long-métrage en date de Tsai Ming-liang a enfin droit à une sortie en salles cette année. Une distribution attendue et méritée puisque son cinéma est tellement axé sur la sensorialité que seul  le grand écran est capable d’en proposer l’expérience totale.

Toujours accompagné de son acteur fétiche Lee Kang-sheng, qu’il filme maintenant depuis près de 30 ans (l’évolution de son corps et de son âge est passionnante), il va s’attarder ici sur la rencontre fugace de deux hommes : l’un est vieillissant, le corps meurtri de douleurs articulaires, l’autre, plus jeune est masseur. 

Comme dans tous les films du cinéaste Taïwanais, ses personnages sont représentés à travers la solitude de leur quotidien, durant de très longs plans, la plupart fixes. Tsai Ming-liang n’a jamais proposé un cinéma particulièrement bavard : les séquences les plus parlantes de sa filmographie sont musicales, dans The Hole et La Saveur de la Pastèque notamment. Au fil du temps on a pu observer un dépouillement progressif de la parole et de la narration classique, au profit du silence et de la poésie visuelle. 

Si Days n’est peut-être pas son film le plus radical, il est pourtant dépourvu de dialogues, avec un carton annonçant que le film est volontairement non sous-titré. Ainsi, on retourne à une forme de cinéma pure, où les images parlent à la place des personnages. Certains plans peuvent paraître déraisonnablement longs, mais c’est justement dans cette durée excessive que la beauté se dévoile. En effet, comme à travers toute sa filmographie, Tsai invite nos yeux et notre esprit à contempler, pour voir plus loin que l’image et en percer toute la sensorialité.

C’est un véritable éveil des sens. On se retrouve plus attentif au son, et au moindre mouvement dans le cadre, dont on peut observer tous les recoins. À travers la rencontre de ces deux hommes, on retrouve le motif queer bien présent dans plusieurs de ses films, et il nous offre une scène de massage érotique d’une grande sensualité, sans rien montrer frontalement.

La mélodie des Feux de la Rampe de Chaplin, jouée par une boîte à musique, vient achever avec douceur ce moment de plaisir, avant de laisser place au bruit de la circulation, pendant un dernier repas silencieux avant leur séparation. Un moment hors du temps mais un souvenir sans doute impérissable pour les personnages, qui retournent à leur vie solitaire.

Il y a une certaine tristesse qui se dégage des plans sur le visage vieillissant de Lee Kang-sheng, et de son corps douloureux, dont la séance d’acupuncture rappelle celle de La Rivière, déjà inspirée des réels problèmes de santé de l’acteur. Cependant, avec l’âge cette douleur prend une nouvelle dimension, et l’extase de la scène du massage possède ainsi un aspect désespéré, comme une échappatoire à la souffrance corporelle et à la solitude.

Days est une expérience unique de cinéma, et certainement un des plus beaux films de son auteur. Si sa diffusion en salles reste limitée, il est important d’aller se perdre dans cette nouvelle errance poétique signée Tsai Ming-liang.

Note : 4 sur 5.

Days le 30 novembre 2022 au cinéma.

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