[CRITIQUE] C’est mon homme – Premiers amours

Un premier film, c’est toujours captivant. Pour réaliser un long-métrage, l’écrire, le financer et le tourner, c’est un parcours du combattant. Alors quand on regarde une première œuvre c’est forcément intéressant, car on assiste au résultat d’années de travail et d’obsessions. C’est mon homme est donc un premier film, celui de Guillaume Bureau, qui après plusieurs courts métrages se lance dans la réalisation de son long. L’histoire est simple, mais terriblement efficace : un soldat de la première guerre mondiale, Julien Delaunay, disparait dans les champs de batailles de la Grande Guerre. Sa veuve, Julie (Leila Bekhti) ne se remet pas de sa disparition, et lorsqu’un homme lui ressemblant (Karim Leklou) est retrouvé, elle reconnait immédiatement en lui son mari. Un petit problème vient troubler ce potentiel happy end : ce soldat inconnu est amnésique et ne sait donc pas si il est véritablement Julien Delaunay. Les choses se compliquent avec l’arrivée d’une seconde femme (Louise Bourgoin), qui reconnait également son mari.

© Alex Pixelle

Une histoire rocambolesque qui s’inspire pourtant de deux faits réels ayant défrayé la chronique dans les années folles. La première de ces histoires ayant inspiré le cinéaste s’est passée dans l’Italie post première guerre mondiale. Deux femmes se sont faites des procès pour avoir la main sur l’identité d’un homme, que chacune désignait comme son mari, alors que ce dernier est un amnésique. Les plaignantes ont donc opposé deux métiers différents à l’ex-soldat et on observe rapidement le parallèle avec le film dans lequel « l’homme » (il est désigné comme tel aux crédits) peut être soit photographe, soit artiste dans un cabaret. De cette histoire, Guillaume Bureau en tire donc principalement l’aspect autour de la personnalité de son inconnu, tiraillée entre deux mondes qu’on lui présente. Les procès passent en arrière-plan, et seront d’ailleurs expédiés en une réplique durant le film. Au contraire, le réalisateur s’attarde sur les métiers possibles pour son amnésique, en les présentant longuement et en leur donnant un univers visuel différent (très lumineux pour la photographie, et très sombre pour le cabaret). Guillaume Bureau reprend le plus pertinent dans ce simple fait divers des années 20, en s’éloignant de la question judiciaire pour se rapprocher du thème identitaire. La seconde histoire dont s’inspire ce long-métrage c’est la publication de la photo d’un amnésique dans la presse française. Plusieurs familles revendiquent l’identité de cet inconnu retrouvé sur un quai de gare, et symbolisant à sa manière les milliers de disparus français. Pour ce fait divers, même méthode pour le réalisateur qui écarte la question judiciaire et se concentre au contraire sur un aspect plus personnel. 

On n’est pas entièrement convaincu par C’est mon homme, mais il faut bien avouer qu’il interroge beaucoup les motivations de ses personnages, et il les questionne parfaitement. Le scénario aurait pu se concentrer sur une veuve éplorée voulant à tout pris retrouver son mari, mais si des proches confirment aussi l’identité de l’inconnu alors l’intrigue se complexifie. Pourquoi des dizaines de personnes mentiraient ? La réponse se trouve dans le traumatisme de la Grand Guerre qui fait plus de 300 000 disparus en 1918, des familles entières se retrouvent sans nouvelles d’un proche, prêtes à tout pour le retrouver au moins quelques jours. Et justement, sur ce personnage amnésique, l’auteur fait des choix remarquables en ne donnant aucune réponse définitive. Est-ce qu’il à fait son choix final car il y croit ? Par amour ? Par intérêt ? L’ambiguïté des personnages est justement la plus grande force du film. A ce titre, le personnage de Leila Bekhti est remarquable car on se demande sans cesse si elle aime l’amnésique ou le souvenir qu’elle avait de son mari. Une performance qui joue scrupuleusement sur nos attentes, en mêlant un jeu intéressant à une mise en scène ambiguë. Les décors lumineux et les scènes d’introduction nous mettent en confiance avant de justement nous laisser penser par le scénario qu’elle nous manipule. Un personnage qui, à sa manière, représente tout simplement une metteuse en scène, notamment dans les séquences où elle fait rejouer à son pseudo mari des souvenirs de leur vie passée.

© Alex Pixelle

L’un des défauts de C’est mon homme est son intrigue prévisible. Pourtant, malgré cela il brasse de nombreuses thématiques intéressantes. Certes, on devine la fin de ce premier long-métrage, qui est découpé très classiquement en trois actes mais pourtant on ne s’ennuie pas une seule seconde, tant ses différentes parties renforcent des réflexions intéressantes. L’idée même de l’identité est questionnée dans chaque partie du film, la première se passant dans le monde de la photographie est donc axée sur un médium qui fige les souvenirs, les immortalisent. La seconde partie, dans un théâtre, renforce l’idée que l’on peut déguiser une identité, se créer des souvenirs et jouer sur les illusions. La troisième et dernière partie se concentre cette fois-ci sur le choix que fait l’inconnu, en le laissant maître de son futur. Finalement, peu importe l’identité réelle de l’amnésique, ce qui compte c’est celle qu’il se choisit au bout du voyage. Une morale intéressante qui donne à l’œuvre un aspect tendre, quelque peu niais.

Avec ce premier film on se pose donc la traditionnelle question de fin d’article : c’est quoi le cinéma de Guillaume Bureau ? C’est une œuvre visuellement intéressante, un film en costumes, ce qui est difficile pour un premier essai (notamment car le budget doit être plus élevé pour la reconstitution). Pourtant, le jeune cinéaste s’en sort avec brio. Son long-métrage oscille entre questionnement sur la mémoire et thriller amoureux au suspens faible. Des interrogations intéressantes auxquelles l’auteur ne donne pas forcément de réponses, pour offrir le choix final à son personnage principal, et au spectateur. C’est mon homme est donc une œuvre parsemée d’idées tendres, avec en fond une première guerre mondiale dévastatrice. Une gueule cassée ouvre le film, tandis qu’au cours de l’intrigue on y découvre des soldats souffrants d’amnésie et des familles face à un deuil impossible. C’est mon homme se sert d’un fait divers intime pour décrypter une société où les femmes s’émancipent en directrices d’entreprises et en créatrices de souvenirs.

C’est mon homme de Guillaume Bureau, 1h27, avec Leïla Bekhti, Karim Leklou, Louise Bourgoin – Au cinéma le 5 avril 2023.

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