La scénariste de Carol, nommée aux Oscars, Phyllis Nagy, fait ses débuts dans le cinéma avec l’histoire indéniablement importante des « Janes », une organisation qui a fourni des avortements clandestins aux femmes entre 1969 et 1973. Bien que les acteurs soient convaincants et la mise en scène solide, ce modeste drame d’époque frôle un peu trop souvent l’académisme. Call Jane commence à Chicago en 1968, où Joy (Elizabeth Banks), une femme au foyer (l’un des nombreux personnages fictifs créés pour l’histoire) apprend que sa grossesse entraîne une insuffisance cardiaque congestive potentiellement mortelle. Les responsables de l’hôpital ne voulant pas approuver une IVG, Joy tombe sur les Janes qui peuvent lui fournir un avortement sûr, hors des sentiers battus.
Le film de Nagy fait un excellent travail en décrivant les barrières exaspérantes et complètes mises en place pour limiter les choix reproductifs des femmes. Une fois que les membres du conseil d’administration de l’hôpital ont rejeté la demande d’avortement de Joy, elle est informée qu’elle doit convaincre un psychiatre qu’elle est suicidaire pour y être autorisée, tandis que la secrétaire du médecin suggère qu’il est plus facile de se jeter dans les escaliers à la place. Lorsque Joy se rend finalement chez les Janes pour son intervention, le support narratif plutôt guindé et étouffant tombe et Nagy, à son crédit, refuse de s’éloigner des détails. Pour un film qui, par ailleurs, semble si large d’esprit dans sa présentation, cela est légèrement surprenant. Et pourtant, l’aspect de loin le plus inconfortable de la longue scène de l’avortement est la présence du médecin des Janes, Dean (Cory Michael Smith), qui n’a pas la moindre sympathie avec les patients et n’explique la procédure à Joy que pendant qu’il la pratique. La sévérité de Dean contraste avec le service après-avortement assuré par les Janes, dirigées par Virginia (Sigourney Weaver), une féministe d’âge mûr.

Au-delà du parcours de Joy, Call Jane examine de manière générale les contraintes sociétales de l’époque, qui renvoient pour la plupart à un sexisme systémique. Une éducation sexuelle médiocre qui permet aux jeunes femmes de croire à des mythes qui empêchent la grossesse (comme l’impossibilité de procréer si l’on fait l’amour debout) et Joy elle-même, une femme adulte, a peu conscience de son propre corps. Bien que le scénario ait un déroulé programmatique, certains moments nous font prendre conscience de la dure réalité de ce que font les Janes. Dans une scène brutale, ils discutent des différentes demandes pour les opérations qu’ils attribuent chaque semaine. Une victime de viol est-elle plus digne qu’une jeune fille, ou qu’une étudiante qui étudie pour faire de grandes choses si elle n’est pas enceinte ?
Pourtant, la plupart du temps, le scénario est truffé de dialogues prosaïques et exagérés, qui donnent l’impression d’être moins naturels qu’un discours militant sur le sujet. Il y a aussi quelques affectations mélodramatiques de trop, et des aspects clés de l’histoire sont oubliés dans l’épilogue précipité de 1973. Mais les acteurs sont suffisamment convaincants pour que Call Jane reste regardable. Si les spectateurs devineront probablement que Joy est un personnage fictif, Banks incarne au moins de manière palpable la peur et la détermination de toute une classe de femmes de l’époque, évoluant de la réticence au simple mot « vagin » jusqu’à devenir une militante à part entière. Sigourney Weaver donne également un coup de boost au rythme bancal du long-métrage à chaque fois qu’elle est à l’écran, refusant de se laisser berner tout en apportant une chaleur et une humanité sournoises. Chris Messina est quant à lui parfaitement interprété dans le rôle du mari de Joy, qui n’a rien d’exceptionnel, tandis que Kate Mara n’est pas assez présente dans le rôle de Lana, la voisine veuve et dépressive de Joy. Tourné en 16mm par le directeur de la photographie Greta Zozula, les images sont d’une qualité majestueuse qui met parfaitement en valeur le cadre de l’époque, tout comme les fioritures évocatrices de l’époque les décors et les costumes. Elles ne sont pas tape-à-l’œil mais elles font le travail.

Le premier film de Nagy n’est jamais moins que tout à fait compétent, même s’il s’agit d’un film à l’aspect plutôt banal, une proposition de niveau moyen qui sera sans doute bientôt récupérée par un service de streaming, qui occupera la quatrième place du top 10 pendant une semaine, puis qui rejoindra cette longue liste de films éphémères numériques oubliés. Call Jane ne peut s’empêcher de frapper, étant donné que les hommes tentent encore aujourd’hui de légiférer sur le corps des femmes, mais son traitement en creux d’un sujet crucial fait que ses 121 minutes semblent finalement un peu longues.
Une histoire digne d’intérêt racontée avec un détachement hermétique décevant, Call Jane est néanmoins maintenu décent par les efforts d’une distribution solide, notamment Elizabeth Banks et Sigourney Weaver.
Call Jane présenté en ouverture de la 48e édition du festival du cinéma américain de Deauville et disponible le 22 novembre sur Canal+.
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