[CRITIQUE] Bis Repetita – Veni vidi vici

Pour bon nombre d’entre nous, l’étude du latin était une épreuve à surmonter pendant plusieurs années, dans l’espoir éventuel de visiter l’Italie. Malheureusement, de nos jours, de nombreux établissements scolaires peinent à trouver des fonds pour financer de telles excursions, entre autres sorties, en raison des restrictions budgétaires imposées par un gouvernement réduisant drastiquement les budgets de l’Éducation Nationale, au point où certains édifices ne peuvent même plus être chauffés en hiver. Cependant, c’est au sein des cours de latin que l’on réalise que le véritable intérêt ne réside pas tant dans l’espoir de contempler le Colisée que dans l’atmosphère même de la classe. Des heures supplémentaires sont consacrées, en compagnie de camarades que l’on retrouve chaque semaine, et parfois pendant plusieurs années, sous la houlette d’un même professeur, si l’on a la chance d’avoir une continuité pédagogique. Et c’est là que naissent des liens privilégiés. Des amitiés se tissent, une dynamique de groupe unique émerge. C’est dans cet esprit que Bis Repetita prend tout son sens.

Dès les premières séquences, Émilie Noblet, qui signe ici son premier long-métrage, nous avertit que l’heure et demie à venir ne se conformera pas nécessairement au réalisme absolu. Nous assistons ainsi, au ralenti, à une classe mixte tant dans sa composition que dans ses styles, composée d’une trentaine d’élèves, tous manifestant une joie non feinte à l’idée d’être en cours de mathématiques, l’un d’entre eux se précipitant vers le tableau pour y inscrire la réponse, sous les applaudissements sincères de ses pairs. Une scène qui n’a jamais trouvé place dans l’histoire de l’éducation. Cependant, c’est une manière astucieuse non seulement d’introduire la touche burlesque du film, mais aussi de souligner le contraste entre les mathématiques et le latin. En effet, le cours de latin de Delphine (incarnée par Louise Bourgoin) se révèle sinistre. Les cinq élèves s’ennuient profondément, le menton appuyé sur la table. Discrètement, la professeure passe commande de divers articles sur internet, feignant d’écouter l’exposé d’Alban (joué par Elias Donada, le parfait sosie de Paul Mirabel). Il apparaît alors que Delphine, une enseignante de lettres désabusée, a conclu un arrangement bien rodé avec ses élèves : ils lui accordent une tranquillité royale, en échange de quoi elle leur octroie des notes mirobolantes. Mais le stratagème se retourne contre elle lorsque ses excellents résultats (fictifs) propulsent sa classe jusqu’au championnat du monde de latin, à Naples. Pire encore, c’est le neveu zélé de la proviseure, Rodolphe (Xavier Lacaille) qui est désigné pour les accompagner. Pour sauver l’option latin, et surtout préserver son confort personnel, Delphine ne voit qu’une issue : tricher !

Copyright Stéphanie Branchu – Topshot Film – Why Not Productions

Ce qui confère immédiatement à Bis Repetita son charme, c’est la manière subtile dont la réalisatrice utilise les archétypes pour donner vie à ses personnages. Chaque élève est caractérisé par une attitude, un cliché bien défini. Nous retrouvons ainsi le perturbateur en quête de plaisanteries, la rebelle au style punk qui préfère rester en retrait, la grande gueule, le timide épris de sa professeure (pas Emmanuelle Macron, Paul Mirabel), et l’influenceur à devenir. Sur le papier, tout cela semble risqué, et l’on pourrait craindre de se retrouver face à une pâle copie de T’as pécho ?, insupportable à regarder. Pourtant, ici, un regard empreint de tolérance est porté sur eux. Ni les spectateurs, ni les personnages eux-mêmes ne se moquent de ces stéréotypes. Ce sont donc les situations souvent grotesques dans lesquelles ils se trouvent qui confèrent leur aspect comique aux scènes. Par exemple, lorsque notre influenceur spécialisé en maquillage se fait confisquer son téléphone, qui sera ensuite violemment projeté contre le mur à la suite d’une série d’incidents, ce n’est pas parce qu’il est efféminé ou qu’il réalise des lives TikTok que nous rions, mais plutôt à cause de la succession d’événements absurdes qui précède. Quant à Alban, le jeune gauche épris de sa maîtresse et dyslexique, jamais son handicap n’est prétexte à rire ou à se moquer de lui. Il est simplement lui-même, et cela n’a aucune importance, que ce soit pour nous, spectateurs, ou pour les autres personnages. Nous trouvons plutôt de l’humour dans son regard amoureux, notamment parce que Delphine, l’enseignante en question, n’en a pas conscience. Ainsi, lorsque, lors d’une scène, elle lui fait la bise, nous comprenons parfaitement ce qui se passe dans son esprit, sans même que l’acteur n’ait besoin de jouer explicitement cette situation.

La synergie qui émane de cette petite classe de cinq élèves différents mais complices est tout simplement adorable, sans la moindre faille. Et lorsque l’on ajoute à cela la complicité entre la brillante Louise Bourgoin et le toujours plus étonnant Xavier Lacaille, quelques étincelles supplémentaires se forment. Rodolphe est aussi passionné de latin que Tarantino des pieds, au point d’être convaincu que la langue peut retrouver son éclat si elle est pratiquée au quotidien. Il a rédigé une thèse que personne n’a lue sur ce sujet, mais surtout, il a monté un groupe où il revisite les classiques de la musique en latin, tels que “Pour que tu m’aimes encore“. Sa passion est tout simplement hilarante. Émilie Noblet, également co-scénariste, parvient sans difficulté à capturer, tant dans le texte que dans la direction, toutes les subtilités comiques de son acteur – ce qui n’est guère surprenant, car elle a écrite et réalisée la quasi-totalité de la série Parlement, dont l’acteur est la tête d’affiche. La première scène où l’on découvre sa reprise de Céline Dion est un véritable délice. L’acteur, installé dans un mini-bus et équipé d’un petit micro, semble être dans son élément. Et dans son interprétation captivante, il parvient à rendre chacune de ses interactions avec les élèves et Delphine extrêmement stimulante.

Copyright Stéphanie Branchu – Topshot Film – Why Not Productions

Au centre de toutes ces figures se trouve Delphine, la professeure désenchantée qui vit comme elle l’entend, laissant plus de place à l’égarement qu’aux sentiments. La figure bourrue, flemmarde et tricheuse du personnage a tout pour être antipathique, mais une beauté humaine ressort de l’interprétation tout en grâce et en malice de Bourgoin. Elle incarne une femme qui s’est vue voler une grande carrière par un homme lors de ses études, et qui voit d’année en année la matière qu’elle enseigne disparaître petit à petit. C’est assez subtil dans l’écriture, mais c’est cette richesse politique qui construit ce portrait féminin simple mais sensiblement sincère. Décidément, c’est véritablement le mélange parfait pour vivre une séance de cinéma feel-good parfaite.

Le seul bémol réside dans le fait que Bis Repetita ne cherche pas à dépasser les standards habituels dans sa mise en scène. Mis à part un magnifique plan long, filmé en grue, lorsque le groupe entre dans la Villa Campolieto pour passer leurs épreuves, l’ensemble du long-métrage demeure très académique dans sa conception. Certes, c’est remarquablement bien exécuté, le découpage comique est impeccable, nous rions ou sourions au bon moment, et nous saisissons les intentions derrière certains contre-champs. Cependant, la mise en scène demeure similaire à celle d’une série, ce qui est dommage car, même si l’écriture est délicieusement succulente, ce qui rend une œuvre véritablement mémorable est sa forme. Un seul instant. Un moment unique. Ici, tout est soigneusement agencé pour offrir un moment excellent, mais qui risque de demeurer éphémère dans notre mémoire. Par contre, si vous souhaitez (re)vivre une certaine idée du voyage scolaire parfait, voir Louise Bourgoin se déguiser en pieuvre ballon hantaï et en Cléopâtre dans le même film, écouter du Céline Dion en latin, rire devant une succession d’événements farfelus impliquant des “moldus” tricheurs, ou tout simplement apprécier une galerie de portraits humains attachants, alors Bis Repetita offre tout cela, et peut-être même un peu plus. Dans le domaine des langues éteintes, l’écriture de Noblet exhale une surprenante vitalité.

Réflexion exempte de critique d’un auteur souffrant de misophonie : Quelle est la finalité de contraindre un comédien ou une comédienne à énoncer ses répliques avec des aliments dans la bouche ? Tel est le cas où l’on observe Noémie Lvovsky débiter tout un dialogue les joues remplies de morceaux de pommes. Un exercice dénué de tout intérêt. Cette pratique se révèle simplement perturbante.

Bis Repetita d’Emilie Noblet, 1h31, avec Louise Bourgoin, Xavier Lacaille, Francesco Montanari – Au cinéma le 20 mars 2024

5/10
Note de l'équipe
  • Louan Nivesse
    6/10 Satisfaisant
  • Kimly Del Rosario
    4/10 Passable
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