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[CRITIQUE] Riverboom – Survivre à la guerre, une blague à la fois

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Par Louan Nivesse

L’Afghanistan. Rien que d’entendre ce nom réveille dans nos esprits des images de conflits incessants, de guerres lointaines et d’un pays constamment en proie à des crises. Pourtant, au détour de ces terres dévastées, il y a une lumière inattendue : celle du rire. Et c’est bien là que réside tout le génie de Riverboom. Comment, se demande-t-on, mêler l’Histoire la plus tragique à son propre vécu intime sans sombrer dans le pathos ? Claude Baechtold, Paolo Woods et Serge Michel nous montrent que la réponse réside peut-être dans une caméra bancale, un humour corrosif, et une amitié indéfectible.

Bienvenue dans leur road-movie, ou plutôt leur “war-movie”, où chaque explosion se fond dans un éclat de rire. Le documentaire s’ouvre sur une découverte : Claude retrouve après plusieurs années des cassettes vidéo oubliées. Ces enregistrements poussiéreux capturent leur voyage en Afghanistan au début des années 2000, juste après l’invasion américaine. Dès lors, on est entraîné dans un tourbillon de souvenirs, d’archives, de photographies et de vidéos amateurs. Mais ce qui retient notre attention n’est pas tant le contenu des images que le ton décalé et l’humour omniprésent. On s’attendrait à une plongée sombre dans un pays meurtri, mais c’est tout le contraire : caméra en main, Claude commente, vingt ans plus tard, la peur et l’absurdité avec un sourire en coin.

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Dès les premières minutes, la voix-off nous prend par la main et nous entraîne dans cette réalité hallucinante. Un instant, on rit d’une blague sur un checkpoint taliban, et l’instant d’après, on s’accroche à son siège en espérant que tout se passe bien. Cet humour n’est pas là pour minimiser la gravité des situations, mais pour les affronter. À chaque moment, les trois journalistes oscillent entre danger imminent et fou rire irrépressible. Ce rire n’est pas une fuite, mais un moyen de dompter le danger et de le regarder droit dans les yeux. Un exemple frappant est la scène de la rivière Boom, où Claude, d’abord terrifié, finit par lâcher prise. Ce moment, qui pourrait être le point culminant dramatique du film, est en réalité empreint de légèreté. En traversant cette rivière chargée de souvenirs traumatiques, Claude rit, comme pour désamorcer la mort. À ce moment précis, on comprend qu’il a changé. Ce qui était autrefois un simple réflexe nerveux devient une véritable arme. Pendant que Paolo et Serge sont submergés par la peur, Claude, lui, rit avec sincérité. Il a dépassé ses angoisses.

Riverboom interroge aussi notre rapport à l’Histoire. Comment raconter les guerres et civilisations déchues à travers un prisme personnel, et surtout, comment le faire avec un humour désarmant ? La voix-off joue ici un rôle crucial : elle n’est pas omnisciente, mais complice. Son humour prolonge l’ironie des archives, comme si passé et présent se rejoignaient pour former une continuité improbable mais nécessaire. Les photographies en noir et blanc de Paolo Woods, qui capturent la gravité des visages afghans, sont contrebalancées par des anecdotes décalées racontées par Claude. Une image d’un soldat armé devient le prétexte d’une plaisanterie sur des caméras défectueuses, allégeant ainsi le poids historique de la scène. Pourtant, loin de diminuer la portée des événements, cette approche renforce notre implication émotionnelle. On rit, certes, mais ce rire est empreint d’une conscience aiguë du drame qui se joue en arrière-plan.

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Ce documentaire n’est pas qu’une chronique de guerre. Il est aussi un voyage intérieur pour Claude, qui, en affrontant l’Afghanistan, affronte aussi ses propres démons. L’une des trames principales est la mort de ses parents, qu’il évoque avec une désarmante simplicité. Tout au long du film, on perçoit comment cette perte le hante, mais aussi comment ses petites blagues l’aident à s’en libérer peu à peu. Chaque gag devient un pas vers la guérison, chaque éclat de rire une manière de dire adieu à une douleur persistante. La caméra, achetée sur un marché à Kaboul, devient une extension de lui-même. Le spectateur est littéralement à sa place, cette proximité rendant l’expérience immersive – c’est du found footage, celui qui capte une certaine idée du réel. Les tremblements de la caméra, les zooms maladroits, tout cela renforce l’impression de vivre l’instant aux côtés des protagonistes. On devient presque le quatrième membre de cette équipe hétéroclite, partageant aussi bien leurs éclats de rire que leurs moments de tension – le passage sous le tunnel, par exemple, est un véritable moment de cinéma.

Ce qui frappe enfin, c’est cette idée que le danger peut être une source de renouveau. Là où la plupart fuiraient une zone de guerre, Claude, Paolo et Serge s’y engagent avec une insouciance presque suicidaire. Mais ce n’est pas un simple goût de l’aventure. Ce voyage en Afghanistan est une manière pour eux de se reconnecter à la vie, de se sentir vivants dans un monde où la mort rôde en permanence. Leur quête n’est pas seulement journalistique, elle est existentielle. Et à travers leurs blagues et leur légèreté, ils nous transmettent ce sentiment d’urgence : vivre malgré tout.

Alors, comment mêler la grande Histoire à son vécu personnel ? Riverboom nous donne la réponse avec malice : en riant. Non pas d’un rire naïf ou superficiel, mais d’un rire qui permet de survivre, de s’ancrer dans le présent tout en portant un regard critique sur le passé. Ce documentaire, loin de tout académisme, nous invite à accepter les contradictions de la vie : que peur et joie peuvent coexister, et que parfois, le meilleur moyen d’affronter le chaos, c’est encore de s’en marrer.

Riverboom de Claude Baechtold, 1h39, avec Claude Baechtold, Paolo Woods, Serge Michel – Au cinéma le 25 septembre 2024

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