[CRITIQUE] Better Call Saul (Saison 6) – S’all true

Cette critique est envisagée comme un entretien fictif ayant eu lieu entre Vince Gilligan et Peter Gould. Elle ne résulte que de l’imaginaire du rédacteur, ayant voulu condenser son analyse de la dernière saison en la replaçant dans un contexte d’écriture de fin de série. Spoilers garantis.


Copyright Greg Lewis/AMC/Sony Pictures Television

Les lumières sont encore allumées dans la pièce, alors que Vince et Peter se rejoignent à table. Ils le savent, plus que dîner ensemble, il faut absolument se mettre d’accord sur le propos de la dernière saison. Un festin joyeux ou triste ? Les deux se regardent, à la fois hâtifs et craintifs de décevoir une de leurs idées, l’une après l’autre.

– Tu sais Peter, je n’ai jamais cru au happy ending. Le conte trouve sa fin quand la tragédie somnole, et Jimmy ne peut au fond, pas repartir complètement sauf de son entreprise de toujours. Il en va de même pour Kim, et l’ensemble des personnages. Le jour parfait n’existe pas.

– Le passé des personnages importe plus que le reste dans la série. Mais nous ne pouvons simplifier la trajectoire des hommes à de simples routes faites de mauvais choix, il y a toujours une part de malchance innée dans leurs trajectoires. Quand je repense à Walter et Jesse, je vois aujourd’hui Jimmy et Kim. L’un devenu celui qu’il ne voulait pas devenir avant de mourir, l’autre prise dans un traquenard insaisissable.

– Quand j’avais construit le personnage de Gus, il ne s’agissait pas plus que cela de mettre en valeur son code d’honneur, ni même la sensibilité qui lui est propre. Mais je pense que cela est nécessaire, on l’a compris en créant Better Call Saul. Même le monstre, le génie maléfique, l’hypocrite et le damné peut regretter les décisions. Intégrer Breaking Bad, c’est se souvenir du traumatisme. Mais également d’un ressenti individuel, coupable et victimaire.

– Hector regarde Lalo comme son fils chéri, s’inquiète de son absence. En parallèle, c’est le père de Nacho qui prévoit le pire. Les larmes sont retenues, mais pas la rage intérieure. S’il y a bien une chose qu’il faut mettre au clair, c’est le rapport sentimental qui bouleverse la raison. Jimmy et Kim ont toujours agi par instinct et amour aveugle, l’un envers l’autre. Mais il s’agit également du cas des antagonistes, à éviter tout manichéisme, autant l’expliciter.

– Effectivement, cela est présent depuis la première saison lorsqu’il s’agissait d’introduire le passé de Mike. Il avait perdu son fils, sa raison de vivre. Si Hector Salamanca était prêt à tout pour se venger de la mort de Lalo, ne serait-ce pas également le cas de Mike vis-à-vis de celle Nacho ? C’est ce qui fait de nos personnages des humains, et les liens se doivent d’être complexes.

– Pour autant, toute la vérité ne leur est pas dévoilée. Certains vont sombrer dans l’incertitude du danger, ils devront se dire et répliquer : tell me again. Il faut en ce sens, mettre l’accent sur l’effet de surprise, par le montage et la mise en scène. Ne jamais laisser trop de temps entre les épisodes, sans recourir aux ellipses. Le suspense est latent, les cliffhangers aussi, et les irruptions de personnages dans l’obscurité. Quitte à faire rejoindre les gammes de personnages les plus inattendues.

– Oui, les arnaques de Saul deviennent persistantes pour l’argent quand il quitte Kim. Il ne pense plus qu’au profit, sacrifiant ce qu’il aimait auparavant. Il n’avait pas prévu de rencontrer un professeur de physique-chimie, qui deviendrait dealer. Comme Jesse, n’aurait jamais pensé voir Walter se transformer en Heisenberg. Le concours de circonstances est commun à tous, et il s’exprimera dans le dernier épisode.

– Finalement, l’artifice cache les coulisses. Nous l’avions dit implicitement dans Breaking Bad, Walter restait humain selon son code Heinsenberg. Plus qu’autre chose, même de mourir, il redoutait avant tout la découverte par Hank de son secret. La destruction d’une famille, d’un amour. En se rendant à l’évidence, le couple Saul Goodman/Kim Wexler ne peut continuer, l’étau se resserre.

– Le noir et blanc doit accentuer le regard blessé et blasé de notre antihéros. Il ne voit plus la lumière, encore moins la flamme qui le faisait vivre, et dynamiter ses manœuvres rocambolesques. Slippin’ Jimmy est réincarné mais sans le flegme : ce qui le mène instantanément à sa chute. Cette contradiction donne raison à Chuck. Il n’a jamais eu un mauvais fond mais il ne peut pas s’en empêcher. Jimmy devient Gene, perdant toute notion de l’amour qu’il peut donner à l’autre, lui qui a tout perdu.

– Le générique s’estompe, comme le succès jadis. Bob devra garder l’émotion du regard, en perte de contrôle lorsqu’il pratique en tant que Gene. Evidemment, cela s’applique pour le jeu de Rhea. Coincée entre deux murs de bureau, à reprendre le rôle de secrétaire en se faisant dicter, elle souffre d’un mariage trop prévisible. Se rappeler Jimmy, c’est revivre – ne pas se morfondre -paradoxalement.

– Le procès où Chuck perd face à Jimmy fut déterminant dans la série, point culminant où le personnage sombre psychologiquement. Il se rappelle son amour perdu, la relation vouée à l’échec avec son frère. Saul devait émerger indéniablement de Jimmy, comme Heisenberg de Walter. Il est précisément ce que repousserait le plus Chuck, s’il était encore vivant. Saul Gone, cela serait donner raison à Chuck.

– Tu veux dire, conclure sur le retour à l’honnêteté. Ce qui fait Jimmy, un frère pour la justice ?

– Plus que la justice, incarnant dans la série la droiture qui règle un peu trop bien le quotidien de mortels, il faut amener l’ambiguïté. Si Saul perd le procès en fin de saison face à son frère ramené des cieux, il lui donne victoire. Mais il le fait pour son propre bien également, assumant enfin ses responsabilités. Le crime ne reste pas impuni, mais peut-on vraiment cesser d’être qui l’on est ?

– Cigarette à la main, Kim et Jimmy se revoient. Les mimiques sont restées les mêmes, ils ne vont jamais se revoir. Mais il lui dit qu’avec un peu d’efforts de sa part, qui sait s’il ne sortira pas plus tôt de prison. Jimmy reste espiègle, même en s’avouant vaincu face à Chuck.

– La balle est de retour au centre. Le regard de Kim se détache des barbelés au loin.
Leur vie reprend, et la paix se ressent à tous égards.

– Yup.

Porte fermée, Peter a l’impression de tourner la page. Il le sait, conclure une série n’est pas facile. Lui aussi recherche la vérité sur les personnages qu’il aime tant, il est encore stressé parce qu’il pense l’avoir trouvée il y a quelques minutes.

Better Call Saul, 6 saisons, 63 Episodes, 45 min, avec Bob Odenkirk, Giancarlo Esposito, Jonathan Banks – Sur Disney+

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