[CRITIQUE] Assaut – L’hommage de Yerzhanov à Carpenter (FEMA 2023)

Au fin fond des plaines kazakhes, au carrefour de routes enneigées et de montagnes brumeuses, une école isolée va subir un terrifiant assaut. Des terroristes s’introduisent sans se faire remarquer dans l’enceinte du bâtiment, prennent en otages une classe d’enfants, et abattent au passage plusieurs adultes. Un groupe d’adultes, alliés inattendus, composé d’un prof lâche, de son ex-épouse, de deux policiers inexpérimentés et du personnel de l’école, va alors tenter un assaut pour reprendre le contrôle de l’établissement, et sauver leurs enfants emprisonnés. Ce pitch sombre de Yerzhanov mêle, comme à son habitude, une habile satire de la politique kazakhe et une comédie dramatique captivante.


© LLC Look Film – Kinovista

Au premier abord, ce nouveau long-métrage du réalisateur le plus prolifique du Kazakhstan semble être un thriller comique sans grande envergure. Pourtant dès son ouverture, on remarque que la dimension politique est encore bien plus présente que dans les autres longs-métrages d’Adilkhan Yerzhanov. L’école est isolée de toutes traces de société, preuve du manque d’implication du gouvernement dans l’éducation des jeunes. D’ailleurs si l’équipe de sauvetage improbable doit prendre d’assaut le bâtiment c’est justement car les secours officiels ne peuvent venir avant deux jours. Leur absence se fait bien plus ressentir que leur présence, et leur arrivée tardive viendra renforcer cette impression d’un état qui ne se préoccupe pas de ses territoires ruraux. La perte de repères géographiques s’accompagne ici d’un manque de boussole morale, en dehors de toute société les protagonistes sont décris comme lâches, idiots et incompétents. Personne ne semble être épargné par la critique du réalisateur, qui ne vise pas à réhabiliter les campagnes, mais à faire la satire de toute une région.

D’un point de vue formel, Assaut alterne entre les plans larges pour représenter le vide des plaines kazakhes et le surcadrage dans les environnements confinés, montrant une double isolation des institutions que ce soit le lycée ou le commissariat. Cette reprise de l’Assaut de Carpenter joue donc sur un traitement qui diffère du film de son aîné. Cela se remarque également dans le fait que l’assaut en question est ici celui des protagonistes, annoncé par un compte à rebours durant l’ensemble du film, tandis que dans Carpenter il s’agissait initialement de celui des antagonistes. Yerzhanov entretient un rapport ambigu, voire même paradoxal, avec ses inspirations. Il cite sans cesse des histoires, que ce soit Rio Bravo ou encore des paraboles bibliques et bien sûr les masques des terroristes représentant à la fois l’internet moderne et les fables mythologiques. Pourtant ces nombreuses références narratives sont utilisées non pas comme des références esthétiques, ou de mise en scène, mais plutôt comme des analogies pour mettre en lumière les dérives des protagonistes. Notamment la corruption et la honte dont souffrent la moitié de ce commando improvisé.

© LLC Look Film – Kinovista

C’est quoi le cinéma avec Yerzhanov ? Celui-ci oscille constamment entre thriller politique, western oriental et bien sûr comédie kazakhe. S’inspirant du burlesque, pour créer des archétypes de personnage un peu lourd mais facilement discernable, il réussit son pari de faire de son sujet terrifiant un film hilarant. Un tier du film est consacré à un simili montage d’entrainement tourné de façon comique et absurde. Les plans fixes, symbole ultime de l’immobilisme du gouvernement, permettent également de transformer certaines scènes comiques en pièce de théâtre, énième inspiration burlesque. Le mélange fragile, mais équilibré, d’horreur et d’humour se retrouve parfaitement dans cet ultime plan. Suffisamment long pour déclencher un rire nerveux, symptomatique d’un pays au bord du gouffre.

Assaut de Adilkhan Yerzhanov, 1h30, avec Azamat Nigmanov, Aleksandra Revenko, Berik Aitzhanov – Au cinéma le 12 juillet 2023

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