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[CRITIQUE] 16 ans –  La tragédie intergénérationnelle

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Par Louan Nivesse

William Shakespeare n’a de cesse d’être adapté et modernisé, dans des contextes, époques ou supports différents. Rien que dans ces dernières années, on a pu découvrir The Tragedy of Macbeth des frères Coen, The Northman de Robert Eggers (réadaptation sous l’ère nordique d’Hamlet) ou encore la version Spielberg de West Side Story, une comédie musicale qui reprend l’histoire du cultissime Roméo et Juliette. Ainsi, quelle fut ma surprise de retrouver les travaux du dramaturge britannique devant 16 ans de Philippe Lioret.

Dès les premières minutes, qui pose parfaitement les bases de cette histoire dramatique et politique, on se rend compte qu’on est face à une réitération de Roméo et Juliette à notre époque, celle des stigmatisations, de l’individualisme et de la lutte des classes populaires, des origines, des milieux. Ici, Nora et Léo se rencontrent le jour de la rentrée en classe de Seconde. Leurs regards s’enchâssent et tout est dit. Le frère de Nora, manutentionnaire à l’hypermarché local, est accusé de vol et viré sur-le-champ. Le directeur de l’hypermarché c’est Franck, le père de Léo. Les deux familles s’affrontent, les différences s’exacerbent et le chaos s’installe.

Ce qui a d’intéressant avec cette énième réappropriation, c’est que celle-ci est à plus petite échelle avec deux protagonistes plus modestes (même si Léo vit plus aisément que Nora – elle vit dans un “croix blanche”, une ZUP), qui n’ont que pour différence une éducation différente due à des origines, coutumes et croyances autres. Tout cela donne au film un contexte et des personnages plus palpables, car proche de notre réalité et de notre vécu. Surtout que pour accentuer ce sentiment d’identité, la caméra de Lioret – souvent à l’épaule – n’est pas en reste pour nous immerger au plus près des deux amoureux, de leurs familles. Son œil à également le mérite de ne jamais se poser en juge. Le réalisateur n’apporte aucune critique aux mœurs familiales, elles sont comme elles doivent être pour les parents et même si on peut se faire notre propre avis sur laquelle est meilleur, les deux familles prennent les décisions qui sont, pour eux, les plus pures pour l’avenir de leurs enfants.

© Paname Distribution

Outre le caractère social évident de 16 ans, tout cela fonctionne grâce à une écriture fine et cohérente de Lioret. Entre l’amour inébranlable de deux adolescents qui, peu importe les évènements, vont rester liés et compréhensifs, la vengeance du frère envers le père (et vice-versa), les déceptions de la famille de Nora (engendrées par des mensonges) : tous ces événements s’enchainent logiquement et rapidement – ce qui donne un sentiment limpide de réalité, de frénésie. Les acteurs y sont également pour quelque chose, en tête nous avons ce magnifique duo que sont Sabrina Levoye et Teïlo Azaïs, crédibles dans leur amour et dans leurs confrontations directes avec les familles. Ce sont des adolescents mures, plus adultes que leurs parents, qui ont mieux compris le monde dans lequel ils vivent ce qui accentue l’un des principaux thèmes du long-métrage : l’avenir est aux jeunes. On salue également les prestations de Jean-Pierre Lorit dans le rôle du père dépassé de Léo, Nassim Lyes un peu trop caricatural par moments dans le rôle du frère de Nora mais surtout Arsène Mosca dans un rôle de père autoritaire qui lui sied à merveille. Ce merveilleux mélange attachant et pertinent n’a de cesse de surprendre, jusqu’à ces dernières minutes chocs qu’on ne peut vous gâcher.

16 ans est un coup frappant en plein cœur qui laisse présager variété et ambition pour le cinéma français de cette nouvelle année. En modernisant Shakespeare sans entrer dans la citation forcée pour parler de notre monde et de nos limites générationnelles, Philippe Lioret narre avec intelligence des adolescentes plus mures que l’âge titré.

Note : 3.5 sur 5.

16 ans de Philippe Lioret, 1h34, avec Sabrina Levoye, Teïlo Azaïs, Jean-Pierre Lorit – Au cinéma le 4 janvier 2022

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