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[ANALYSE] Pat Garrett et Billy le Kid – Apprendre à faire le deuil

Après le succès des Chiens de paille ou encore de Guet-apens, Peckinpah revient à son genre de prédilection, le western, cette fois-ci en reprenant le mythe américain du shérif Pat Garrett et du bandit Billy The Kid. Avec James Coburn (Pat Garrett) et Kris Kristofferson (Billy) dans les premiers rôles, le film intrigue surtout à sa sortie pour sa bande originale, spécialement composée par Bob Dylan, qui tient son premier rôle au cinéma, incarnant Alias, compagnon de route de Billy. 

Ne se limitant pas à la traditionnelle course poursuite entre le shériff et le hors la loi, Pat Garrett and Billy The Kid est avant tout une ôde à l’amitié, Peckinpah choisissant de faire de ces sujets des amis de longues dates. Devenu shérif, Garrett est amené à traquer Billy pour ses crimes. Le véritable drame du récit n’est donc pas tant la traque de Billy que la nomination de Garrett ! Leur amitié est aussitôt condamnée, chacun doit donc apprendre à faire le deuil de l’autre, sachant pertinemment que l’issue sera forcément tragique. Peckinpah s’amuse avec les vérités historiques, le spectateur, si tenté que celui-ci est renseigné sur le sujet, sait que Billy sera abattu par Garrett. Le film gagne donc une force dans la narration : celle de perpétuellement repousser l’échéance. Bien que nous soyons dans la confidence quant à la mort de Billy, nous est également donnée l’information selon laquelle le shérif finira lui aussi par mourir. Débutant sur un flashforward dans lequel Garrett est froidement assassiné par ses associés, Peckinpah dépeint d’office sa vision de l’Amérique, une terre violente et injuste où seule la mort peut mettre fin à ce climat martial, comme nous le montre le visage paradoxalement apaisé de Colin Baker, agonisant au pied d’une rivière. 

Séquence devenue célèbre pour la musique qui l’accompagne – Knockin’ on heaven’s door -; la mort du shérif Colin Baker intervient au milieu du récit et devient la clé de ce dernier : tandis que Baker est heureux de quitter ce monde, Garrett lui est condamné à rester, donc à tuer. L’un est vêtu de noir de la tête au pied, il est littéralement l’ange de la mort redouté de tous, mais paradoxalemment, il est aussi celui qui subit l’absence de ceux qu’il emporte, ses compagnons de route, anciens amis, voir même son fils spirituel, Billy, “And you used to be just like a daddy to that boy”; tandis que l’autre, au bord de l’agonie, laisse jaillir une lumière orangée de son visage, emportant comme dernier souvenir le visage de sa femme, filmée en contre plongée, à l’image de la place qu’elle prend dans sa vie. Tel un chant du cygne, c’est devant les Parques que Baker se résigne à représenter la justice, implorant à sa femme de lui retirer son insigne “Mama take this badge off of me / I can’t use it anymore”. Musique à comprendre pour les deux personnages : aussi bien pour Garrett (qui appelle à mourir) que pour Baker (qui approche le paradis, symboliquement la rivière).

Mais seul Baker se sent atteindre les portes du paradis, Garrett ne se contentant que d’essayer de le trouver, en vain. C’est sous ce ciel crépusculaire que se clôt la scène, sur un regard lointain de Garrett vers ce qu’il n’aura jamais : de l’amour. Comme simple compagnie se trouvent les linges étendus autour de la maison de fortune dans laquelle il abat Black Harris, qui se joint à ses linges, agonisant les mains sur la corde. Tous ceux qu’il a tués jusqu’alors sont autour de lui, tous réduits à l’état de silhouettes fantomatiques, confrontant Garrett face à ses propres horreurs. Mais comme écrit précédemment, Garrett reste, car comme il le dit à Billy au début du film, les temps ont changé et lui se doit aussi d’accepter le changement, autrement dit sa nouvelle condition de shérif, là ou Billy affirme que les temps changent, certes, mais pas lui ! Rebelle dans l’âme, Billy est la liberté à l’état pure, quand Garrett, lui, est plus sage, peut-être trop, dans la mesure où c’est sa docilité qui entraînera sa chute.

Peckinpah tranche la question de la liberté par rapport au devoir en sublimant le hors la loi et en torturant moralement le personnage de Coburn pendant tout le film. Constamment dans la retenue, celui-ci ne s’autorise pas d’écart mais souffre de cette condition. Il cherche à s’échapper de sa fonction mais sa morale le retient. Finalement, son seul ennemi à abattre, c’est lui : d’où cette scène où il tire sur son reflet dans le miroir. Le shérif n’éprouve plus d’amour ni pour lui-même, ni pour les autres. A l’image du film, Garrett est coincé dans la tombée de la nuit et retarde le levé du jour, qui symbolise la fin d’une époque, celle où Billy est en vie, et celle où il n’est pas une figure de la loi. 

Si à sa sortie le film n’obtient pas un succès comparable aux précédents long métrage de Peckinpah, on peut l’expliquer par la dimension poétique qui prend une place importante dans le film, qui bien que violent se veut moins frontal qu’un Guet-Apens ou encore que La Horde Sauvage. Également, en plus d’une production difficile, accolée à un Peckinpah alcoolique, le film est à sa sortie saboté par les studios de la MGM qui le distribue dans un montage désapprouvé par son réalisateur. Il fallut attendre 1988 pour que la version initiale voulue par Sam Peckinpah soit diffusée, quatre ans après son décès.

Film somme dans la carrière de son cinéaste, Pat Garrett and Billy The Kid loue une liberté culminante auquelle n’aura jamais tout à fait accès Peckinpah, qui se rêve en Billy mais n’est en définitive que Garrett, le shérif forcé de faire des compromis, voir de s’autodétruire. Et pour souligner cette déchéance, rien n’est plus fort que la voix nasillarde de Dylan, qui fait rugir l’Amérique, alors en pleine guerre du Vietnam, tandis que Nixon vient d’être réélu.

Pat Garrett and Billy The Kid, 2h 02min, western de Sam Peckinpah avec James Coburn, Bob Dylan, Kris Kristofferson

Pat Garrett and Billy The Kid disponible en VOD.