[ANALYSE] Hostile & Méandre – une Tuerie

Dans notre entretien avec Mathieu Turi, ce dernier nous a expliqué que ses deux premiers longs-métrages présentent des similitudes, en partie parce qu’il les a écrit simultanément. Ces œuvres partagent manifestement de nombreux points communs qui mettent en lumière la vision du cinéma selon Turi. Alors, suivez-nous dans l’univers hostile de ses créations, plongeons dans les méandres de l’esprit turien. Avant d’analyser ces deux films, faisons un bref récapitulatif : Hostile, le premier, raconte l’histoire d’une survivante évoluant dans un monde post-apocalyptique, contrainte de se cacher toute une nuit dans un camion pour échapper à des créatures terrifiantes. Quant au second film, Méandre, il narre l’histoire d’une femme qui doit progresser à travers un tuyau truffé de pièges pour espérer survivre.

Un premier point de convergence entre les deux films réside dans leur nature de huis-clos. L’auteur ne cache pas que cela s’explique à la fois par des considérations économiques et la facilité de production. Pour un premier long-métrage, en particulier dans le domaine du film de genre, il est préférable de maîtriser le budget, d’où le choix du huis-clos. Néanmoins, Turi s’efforce de repousser les limites de ce genre. Dans Hostile, de nombreux flashbacks permettent au réalisateur de s’affranchir de l’espace confiné pour développer le passé de sa protagoniste et élargir l’univers de son récit. Cette astuce évidente lui permet d’introduire les spectateurs à un monde pré-apocalyptique et post-apocalyptique à travers les souvenirs de son héroïne. Que ce soit dans le passé ou dans le présent, l’héroïne semble être prise au piège. Dans le présent, cette notion est évidente avec le camion dans le désert, tandis que dans le passé, elle est subtilement évoquée. L’auteur utilise fréquemment le surcadrage chaque fois que la protagoniste est dans le passé (avec un cadre photo comme point de départ) pour illustrer son confinement croissant. L’objectif est de renforcer la menace liée à sa relation toxique avec son mari. Au fur et à mesure que l’intrigue progresse pour révéler que Jack représente une menace physique, le surcadrage devient plus prononcé. Malgré les subterfuges de Turi, le huis-clos demeure présent. Dans Méandre, le procédé diffère. Le huis-clos est évoqué car la protagoniste est enfermée dans un tunnel, mais elle doit avancer pour survivre, ce qui élargit considérablement l’espace. L’objectif est de passer d’une séquence à l’autre, d’un huis-clos à l’autre. En jouant avec les limites du genre, Turi parvient à captiver les spectateurs, tout en les surprenant. Dans Méandre, notamment, il est impossible de prédire ce qu’il se produira à chaque segment. De cette manière, le film présente de fortes similitudes avec les différents niveaux d’un jeu vidéo.

L’un des points communs entre les deux longs-métrages est qu’ils tirent en partie leur inspiration du monde des jeux vidéo. Il est amusant de noter que le réalisateur prépare actuellement une série adaptée du jeu vidéo français A Plague Tale. Dans Hostile, la principale référence est sans aucun doute The Last of Us (un clin d’œil d’ailleurs présent dans l’un des flashbacks). Cette référence est évidente, car les deux œuvres partagent une thématique similaire : faire le deuil de notre monde après sa fin. Ici, la référence apporte des idées visuelles, notamment en ce qui concerne l’aspect post-apocalyptique, ainsi que des éléments narratifs liés aux moments où l’héroïne découvre la fin du monde. Turi délaisse donc l’aspect ludique propre aux jeux, difficile à retranscrire au cinéma, dans son premier long-métrage. Pour le second, il s’y attaque de front, bénéficiant de l’aide d’un de ses amis, le célèbre développeur de jeux vidéo, Hideo Kojima. Méandre adopte ainsi des éléments ludiques propres aux jeux, où l’héroïne semble avoir plusieurs vies et doit progresser de niveau en niveau pour avancer. Les inspirations visuelles empruntées au travail de Kojima sont également présentes, notamment le bracelet de Lisa rappelant Death Stranding, sa tenue faisant référence à Metal Gear Solid, et le caractère polysémique de sa quête évoquant naturellement P.T. Turi a réussi le défi difficile de transposer les mécaniques de gameplay d’un jeu vidéo dans un film.

En résumé, nous avons affaire à deux films écrits simultanément, ce qui explique leur partage d’idées narratives similaires. L’un des thèmes majeurs qui se dégage est le deuil, avec la protagoniste d’Hostile qui doit faire le deuil d’un monde entier, et celle de Méandre qui fait face à un deuil plus personnel. Dans les deux cas, le personnage doit surmonter des épreuves pour atteindre cet objectif. Dans Hostile, la photo usée du couple est à l’origine de nombreux problèmes pour l’héroïne, symbolisant le poids persistant de cette relation bien après sa fin. À la fin du film, elle se débarrasse de cet objet, marquant ainsi sa décision de laisser aller ce fardeau. Cette représentation, bien que simpliste, se complexifie dans le second film. Méandre décrit une inconnue qui doit faire le deuil de sa fille, Nina. Le tuyau devient alors une métaphore de la progression de l’héroïne dans ce processus. Pour continuer à vivre, elle doit avancer. Les changements de couleurs de l’environnement peuvent être interprétés comme une avancée dans les étapes du deuil, tandis que la résurrection d’une créature peut signifier le renouveau de Lisa. Le deuil est une étape complexe, et Turi choisit de le représenter à travers un labyrinthe aux multiples interprétations, lui permettant également de faire des clins d’œil à ses principales influences, comme Cameron pour le décor rappelant Aliens, ou Shyamalan pour les multiples théories possibles.

En fin de compte, le cinéma de Mathieu Turi semble cohérent pour l’instant, car il a été créé dans un contexte commun. L’avenir semble d’autant plus intéressant. Avec Gueules Noires, le réalisateur parviendra-t-il à repousser à nouveau les limites du huis-clos ? Saura-t-il incorporer des références habilement dissimulées ? La réponse sera donnée dans quelques jours, en salle.

Hostile de Mathieu Turi, 1h23, avec Brittany Ashworth, Grégory Fitoussi, Javier Botet – Sorti en 2018

Méandre de Mathieu Turi, 1h30, avec Gaia Weiss, Peter Franzen, Romane Libert – Sorti en 2021

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