[ANALYSE] Assassin(s) – Petite histoire de la violence

1997. Festival de Cannes. Un jeune cinéaste vient présenter son troisième long-métrage. Après le succès de La Haine, Mathieu Kassovitz revient. Sa carrière vient de décoller. Mais encore faut-il être prudent face à l’atterrissage. Et tel un canard sauvage fauché par un tir d’un chasseur bourré au perniflard, l’atterrissage sera brutal. Assassin(s) sera traité de tous les noms, voire de “film le plus nul de l’histoire du cinéma” selon Le Figaro. Qu’a donc fait Mathieu Kassovitz pour mériter cela ? A-t-il assassiner le cinéma ? Le mystère est complet.

Mais n’oublions pas : l’assassin n’a-t-il pas des yeux ? Un assassin n’a-t-il pas des mains, des organes, des dimensions, des sens, de l’affection, de la passion ; nourri avec la même nourriture, blessé par les mêmes armes, exposé aux mêmes maladies, soigné de la même façon, dans la chaleur et le froid du même hiver et du même été que les Chrétiens ? Si vous les piquez, ne saignent-ils pas ? Si vous les chatouillez, ne rient-ils pas ? Si vous les empoisonnez, ne meurent-ils pas ? 

L’assassin ne mérite-t-il donc pas justice ? Tentons de le réhabiliter.

Wagner (interprété par Michel Serrault) est un vieil homme arrivant petit à petit au bout de sa vie. Au début de notre récit, c’est un humble artisan du meurtre, n’ayant pas d’apprenti. Sa rencontre avec Max, chômeur de 25 ans et accessoirement cambrioleur médiocre, va lui permettre d’éclaircir ses journées et peut-être de se trouver un héritier légitime. Malheureusement, malgré ses airs d’incel texan pro de la gâchette, Max s’avère être un médiocre tueur. Wagner le supprime et prend sous son aile, Mehdi, 13 ans, collégien.

Voilà, donc pour les personnages. Assassin(s) est pour Kassovitz tout d’abord une version longue d’un de ces premiers courts-métrages. Mais c’est aussi un geste de réaction envers la représentation de la violence dans les années 1990 : à la fois dans le cinéma mais aussi via la question de la représentation médiatique. Précisément à cause de Tarantino, Kassovitz choqué de voir que le cinéaste ose s’amuser avec la violence décide d’y répondre par une approche esthétique de la violence qui diffère de son confrère américain. Prenons le premier meurtre : l’approche est frontale, nous mettant ainsi dans la position de ce jeune homme (Max) qui découvre ce qu’est être assassin. On nous montre la violence dans sa vision la plus crue, avec un vieux pleurant et pissant le sang. Or, en pratique, cela ne fonctionne pas tellement. Ce n’est pas que la séquence est mauvaise mais elle ne se concentre pas sur la souffrance de la victime mais bien sur l’angoisse de Max à appuyer sur une gâchette.

Mais comme un enfant qui à l’occasion de jouer avec un grand train électrique, il y a un plaisir évident de voir un réalisateur jouer avec les moyens techniques offerts par un précédent succès commercial. La maitrise et la créativité sont indéniablement présentes, et sont extrêmement appréciables à regarder. Pourtant, on se retrouve parfois plus happé par la maitrise formelle. À ce titre, Reservoir Dogs s’avère être bien plus percutant : la fameuse scène de l’oreille, pourtant en partie hors-champ, est bien plus glaçante que la vision froide et élégante des meurtres d’Assassin(s). Le détachement de Mr. Blonde, la musique pop, le long moment en silence qui suit, font que finalement Tarantino ne traite pas la violence avec tant de fun.

Alors qu’est-ce qui intéresse Kassovitz ?

C’est avec le personnage de Mehdi que tout s’éclaire. La plus « belle » séquence du film est celle où le jeune homme va assassiner une bourgeoise dans sa maison de Neuilly. Quand il pénètre dans le domaine, le silence règne. Il monte les escaliers et tombe sur sa victime, masque sur les yeux, casque aux oreilles. Il la tue avec son arme équipée d’un silencieux. Il s’assoit. Allume la télé. Ce silence n’est pas négligeable. C’est la seule séquence où il occupe l’espace sonore. Dans tout le reste du film, celui-ci est occupé, colonisé, par l’omniprésence médiatique : que ce soit de la radio, de la télévision ou des jeux vidéo.

On entend à longueur de film un flux d’informations catastrophiques digne de ce que l’on peut voir de nos jours avec BFMTV. Cette omniprésence créer une présence sonore et visuel oppressive qui participe à l’ambiance poisseuse de cet Assassin(s), en plus d’une lumière crue et blanchâtre pouvant épuiser le spectateur. De même, une sitcom idiote type Hélène et les Garçons se transforme en horrible scène de viol et de massacre, presque insoutenable. Le jeune garçon Mehdi carbure à Scarface et à des jeux ultra violents.

Wagner incarne la réalité du métier d’assassin. Difficile à ce titre de ne pas penser à un cinéaste et son chef opérateur choisissant les optiques nécessaires à la fabrication d’un plan, lors de cette séquence où le vieil homme et son premier apprenti discute des différents types d’armes à feu et leur utilité pratique sur le terrain. Max, quand-à-lui, se baigne dans la fiction mais s’enfuit, confronter à la violence du réel. Mehdi, lui, est encore trop influencé par la fiction (Scarface encore une fois) pour se rendre compte de la réalité de ce qu’est un tueur. Il ne sent pas appartenir au réel qui de toute façon le rejette. Hormis l’argent, on comprend que sa motivation est de correspondre à un imaginaire, transcendé par un univers médiatique qui n’existe pas.

On peut trouver cette vision des médias datée : difficile de ne pas penser aujourd’hui à ceux qui remettent la faute des tueries de masses aux États-Unis sur le dos de jeux tels que Doom, GTA ou Halo, en occultant toute question sociale. On comprend ce que tente de dire Kassovitz (l’omniprésence de la violence dans l’univers médiatique désensibilise et rend violent) mais cela parait être un peu simple, bien qu’on y trouve certainement un fond de vérité.

La violence nait-elle donc d’un inconscient envahi par la violence d’un paysage médiatique décérébré ? Pas forcément. Car ce qui motive Max et Mehdi c’est avant tout l’argent, venant tout deux d’un milieu pauvre. Par nécessité. C’est le plus bourgeois des trois, Mr.Wagner, qui s’avère être le plus ignoble : il tue par tradition familiale, par héritage, pour la beauté du geste. Et cela, Kassovitz ne l’occulte pas : Assassin(s) semble soulever plutôt l’idée que c’est un mélange entre exclusion sociale (Max exclu du monde du travail, Mehdi par l’éducation nationale) et violence médiatique, visuelle, sensorielle, qui mène progressivement à l’action.

Le flou semble régner en maître. Pourtant, l’expérience sensorielle, le fait de tuer le protagoniste au milieu du film, de montrer Michel Serraut en tueur à gage impitoyable, l’agressivité de l’univers sonore et visuel tout au long du film, font de cet Assassin(s) une œuvre indéniablement perturbante. C’est un film noir fascinant, vénéneux, porté par un sublime acteur, une sublime bande-son originale composée par Carter Burwell, une maitrise technique qui force le respect et une volonté de taper là où ça fait mal, qui ne ressemble qu’à Kassovitz – l’outrancier, le rageur, bourré d’une énergie folle. Un film à voir, revoir, aimer, détester peut-être, mais qui mérite de ne pas tomber dans l’oubli. 

Assassin(s) de Mathieu Kassovitz, 2h08, avec Michel Serrault, Mathieu Kassovitz, Mehdi Benoufa – Sorti le 16 mai 1997.

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