Rechercher

[ANALYSE] 1917 – Une nouvelle manière de filmer le temps, le lieu.

Image de Par Louan Nivesse

Par Louan Nivesse

Comme beaucoup de gens, je monopolise mon canapé depuis quelques mois et aller au cinéma me manque cruellement. Ça me manque de m’asseoir dans un cinéma sombre, de laisser le monde extérieur derrière pendant quelques heures et de me perdre dans la présence écrasante d’un film sur le grand écran. L’une de mes dernières grandes expériences de cinéma me donne l’impression que c’était il y a très longtemps, en janvier quand j’ai vu 1917. En regardant cela, j’ai spontanément conçu une théorie cinématographique qui m’a aidé à comprendre comment m’engager au mieux avec le film et m’a donné une appréciation plus profonde pour ses mérites techniques et narratifs.

J’appelle cette théorie le « cinéma du moment », que je comprends comme une approche du film soucieuse de capturer un «moment», utilisant des techniques visuelles pour nous plonger dans un temps et un lieu. Le film est le moyen idéal pour nous plonger dans de nouvelles expériences : il est équipé d’images, de son, de temps et de mouvements, et même sur un écran bidimensionnel, les films peuvent réaliser leurs mondes imaginés avec une sensation organique de profondeur visuelle. 1917 se concentre sur l’expérience visuelle. Les longues prises et les coupes cachées imitent un plan continu pendant ses deux heures, une technique vue dans des films comme La Corde et Birdman. C’est un truc cinématographique impressionnant qui approfondit notre immersion dans le monde à l’écran, l’absence de montage perceptible nous fait oublier que nous regardons un film. Au début, les longues prises suggèrent que les événements se déroulent en temps réel, mais l’histoire se déroule sur une période d’environ vingt-quatre heures. Il n’y a pas de logique temporelle à 1917, car le film nous demande d’ignorer les mesures de temps comme les heures et les minutes, et à la place de nous perdre dans des images ininterrompues par des transitions visibles entre les plans.

Il y a un sens remarquable de la dimension et de la profondeur au monde cinématographique de ce film. Presque toujours en mouvement, la caméra danse avec des manœuvres gracieuses et éthérées pour établir la géographie spatiale et changer de perspective, même dans les longues prises de vue. Les coupures cachées se produisent lorsque des objets apparaissent dans le cadre, couvrant brièvement la ligne de vue directe de nos protagonistes Schofield et Blake alors que la caméra les suit. Des montages de paysages tels que des arbres, des canons d’artillerie, des soldats de passage et une architecture de tranchées et de fermes peuplent le cadre, ajoutant des couches au monde spatial que ces personnages habitent et traversent. La fumée et les gravats des explosions d’artillerie ajoutent une texture trouble, et il y a même un plan où la caméra pivote soudainement avec le mouvement d’une explosion, nous laissant ressentir la puissance de son onde de choc. C’est une expérience fascinante d’entrer dans ce film. Narrativement, 1917 est clairsemée et contenue. Le film est tellement hyper-concentré sur son histoire que tout ce qui se passe avant et après est sans importance, et à la fin, tout semble même sans importance dans le grand schéma de la Première Guerre mondiale qui l’entoure. C’est juste une histoire simple de deux soldats en mission qui se déroule sur une journée, au milieu d’une guerre de quatre ans qui a impliqué des millions de vies. C’est pourquoi le film est si captivant et plein de suspens, il magnifie son histoire à petite échelle en une expérience matérielle à laquelle nous pouvons assister, à regarder comme si nous étions présents en train de traverser des tranchées et des champs de bataille pour délivrer un message. 

Dans 1917, la technique visuelle est plus qu’un simple gadget : elle nous présente une nouvelle façon de « voir » un film. Nous sommes encouragés à ignorer la logique du temps et à voir des images intactes par les formes traditionnelles de montage. Nous sommes invités à nous abandonner à l’écran, à être plongés dans un moment et un lieu particuliers, à ressentir l’immédiateté et le frisson du danger et à vivre le moment de la course contre la montre sur une mission urgente.

1917 est disponible en DVD/Blu-Ray.

0
0

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

AFTER_LARGE
[CRITIQUE] After - Danse, désespoir, et l’aube pour seule échappatoire
Dans les entrailles nocturnes de Paris, quand la fête...
LOLITA_LARGE
[ANALYSE] Lolita à l'écran - Quand les adaptations amplifient la perversité
La sortie du tout nouveau Mean Girls, ou en version...
BETTER_CALL_SAUL_S6_LARGE
[CRITIQUE] Better Call Saul (Saison 6) – S’all true
Cette critique est envisagée comme un entretien fictif...
MARIANO BAINO_LARGE
[CRITIQUE] Dark Waters & Astrid's Saints - Lovecraft par mariano baino
Dark Waters et Astrid’s Saints, les deux longs-métrages...
BONA_LARGE
[RETOUR SUR..] Bona - Aliénation domestique
Le cinéma philippin de patrimoine connaît, depuis quelques...
MALDOROR_LARGE
[CRITIQUE] Maldoror - le mal de l'horreur
Maldoror est sans doute le projet le plus ambitieux...
GOLDBOY_LARGE
[CQL'EN BREF] Gold Boy (Shusuke Kaneko)
La carrière de Shusuke Kaneko est pour le moins surprenante....