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[CRITIQUE] Riddle of Fire – Le feu du conte de fées

Quelle est donc la place de l’ironie et de la sincérité dans notre époque, tant vis-à-vis de l’une que de l’autre, ainsi qu’au sein de la scène culturelle actuelle ? L’épreuve décisive pour choisir entre ces deux attitudes se trouve peut-être dans le conte de fées, un récit qui offre deux perspectives divergentes sur le monde. Créés par des adultes dans un but éducatif et moral pour les enfants, les contes de fées sont largement regardés avec scepticisme par les premiers ; du moins, ils ne sont guère pris au sérieux. Pour les enfants cependant, la magie et le mysticisme de la fantaisie sont espérés pour susciter soit une croyance sincère, soit une impulsion à y croire, car la croyance précède souvent l’obéissance et donc la socialisation. Mais cela ne nous éclaire que peu à une époque où la valeur des contes de fées a été inversée pour certains. Les enfants semblent ne plus avoir besoin du Père Noël ou des frères Grimm ; les adultes, quant à eux, de plus en plus infantilisés, aspirent à une nostalgie déplacée. Est-ce que l’abondance d’un côté a engendré le désir de l’autre ?

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Il est ardu de condamner ceux qui répondent par l’affirmative, et encore plus difficile de nier le cynisme des grands studios qui, de manière active, imposent les idéaux de la fantaisie – comme le démontre de façon flagrante Stranger Things. Cependant, il serait hâtif de penser que les contes de fées contemporains se balancent entre une conscience excessive d’eux-mêmes et une innocence mièvre. Ce qui ressort du premier long métrage de Weston Razooli, Riddle of Fire, c’est une ambivalence quant aux défauts inhérents aux contes de fées : d’un côté, la critique reproche au cinéaste d’avoir réduit ses personnages à de simples porteurs d’idées – sur l’innocence juvénile et les comportements répréhensibles – plutôt que de les laisser incarner des individus authentiques. D’un autre côté, on le félicite pour “prendre sérieusement sa quête”, frôlant parfois l’auto-dérision chronique. Ces deux pôles reconnaissent l’effet recherché ostensiblement par le réalisateur : un retour fantasmatique à l’enfance où la magie et la réalité cohabitent ; cependant, ils imposent également des définitions trop rigides de ce que ce retour devrait impliquer dans leur évaluation.

La clé pour percer à jour Riddle of Fire réside peut-être dans son titre. Une énigme suggère un problème et sa résolution, résumant ainsi parfaitement sa narration ; le feu, à la fois source de vie et de mort, demeure pour l’instant une présence obscure. L’univers dans lequel il se déploie semble à la fois anachronique et cohérent, empruntant aux imaginaires des légendes elfiques tout en conservant une certaine modernité technologique (comme en témoignent les téléphones portables, les jeux futuristes, et les achats en ligne). Pour Hazel (Charlie Stover), son jeune frère Jodie (Skyler Peters), et leur amie Alice (Phoebe Ferro), ce monde est leur terrain de jeu ; ils n’aspirent qu’à se lancer dans des aventures perpétuelles au cœur de celui-ci. Après avoir réussi un audacieux cambriolage pour dérober une console de jeux vidéo nommée Otomo Angel, le trio – surnommé les Trois Reptiles Immortels – rentre chez lui pour découvrir que leur mère, Julie (Danielle Hoetmer), a verrouillé la télévision avec un mot de passe.

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C’est un obstacle trivial, presque insignifiant, à la lumière de la résistance farouche de nos protagonistes, qui, nous l’apprenons rapidement, ont peu (ou pas) de figure paternelle dans leur vie et sont livrés à eux-mêmes, armés de pistolets à billes et d’une attitude insouciante. Julie, clouée au lit par un rhume estival, exerce peu d’autorité sur ces enfants, mais leur confie néanmoins la tâche d’obtenir une tarte aux myrtilles de la boulangerie locale en échange du mot de passe, une mission qu’ils acceptent volontiers. Mais la boulangère aussi est malade, et elle réclame elle aussi quelque chose en échange de la recette de sa création convoitée. Après avoir navigué de lieu en lieu et s’être embourbés dans des situations comiques qu’ils ont eux-mêmes engendrées, un objectif final apparaît : un œuf tacheté, suggéré mais non imposé par la recette. Pour Hazel, Alice et Jodie, aucune demande n’est trop insignifiante, aucune directive n’est considérée autrement que comme une injonction sacrée. À la recherche de la dernière boîte chez l’épicier, ils se font inévitablement rabrouer par John Redrye (Charles Halford), un adulte menaçant qui leur arrache l’objet convoité, projetant de l’utiliser pour un barbecue cette nuit-là.

Restant fidèles à la tradition et à l’esprit du long-métrage, les enfants ne se résignent pas simplement à cette réalité et ne rentrent pas chez eux, mais embarquent clandestinement à bord du camion de John, accompagnés du mystérieux gang de braconniers auquel il appartient. Leur meneuse est Anna-Freya Hollyhock (Lio Tipton), une jeune sorcière renfrognée ; leur bande, connue sous le nom de gang de l’Épée Enchantée, dissimule en réalité des activités de braconnage organisé et illégal. L’intelligence et la sorcellerie vont de pair dans la lutte qui s’engage entre le bien et le mal. Il y a quelque chose de silencieusement menaçant dans le comportement et les capacités d’Anna-Freya, qui maintient le gang – comprenant deux sœurs jumelles et un frère simple d’esprit (Marty, joué par Razooli) – sous son emprise la plupart du temps, tout comme il y a quelque chose de touchant chez sa fille, Petal (Lorelei Olivia Mote), qui est censée rester à la maison, mais qui s’échappe quand même, se liant d’amitié avec l’ennemi présumé à travers ses propres démonstrations de sorcellerie.  

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Dans la mesure où les mondes réel et fantastique ne se heurtent pas mais coexistent, Riddle of Fire offre une vision unique et ambivalente du conte de fées, comme une zone de transition entre la vivacité de l’action et la sérénité languissante. Cette double caractérisation prend tout son sens lorsque l’on considère la perspective du spectateur, qui n’est ni totalement immergé dans l’idéalisme enfantin ni totalement éloigné de celui-ci.

L’aventure navigue entre l’ironie et la sincérité, présentant le feu éponyme à la fois comme métaphore de la création et comme création à part entière. Tourné sur une pellicule Kodak 16mm onirique, ce conte de fées mobilise un éventail de talents techniques : une bande-son boisée et médiévale provenant de sources tant licenciées que non-licenciées ; un éclat mystérieux grâce au directeur de la photographie Jake Mitchell ; un rythme idiosyncratique établi par le montage de Razooli. L’ensemble fusionne pour créer une narration résolument onirique et émouvante. Peut-être sommes-nous invités à nous remémorer notre propre éclat d’enfance lors du face-à-face autour des œufs tachetés ; peut-être assistons-nous, à travers les yeux de la mère de Hazel et Jodie, à son rêve et à sa fantaisie d’une innocence effrénée (cette interprétation trouve du crédit dans le fait que Julie, tout au long des bêtises de la journée et de la nuit, reste profondément endormie et ne s’éveille qu’à leur retour, avec une surprise en main). Quoi qu’il en soit, il est bon de se rappeler l’échange entre les frères lors de leur première rencontre avec la nymphe Petal dans la forêt : “Je pense qu’elle est maudite“. “Peut-être qu’elle est bénie“. “Peut-être les deux“. Les contes de fées, qui prêtent au monde une moralité simpliste, se révèlent bien plus complexes lorsqu’ils sont rejoués dans ce même monde.

Riddle of Fire de Weston Razooli, 1h54, avec Lio Tipton, Charles Halford, Weston Razooli – Au cinéma le 17 avril 2024

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