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[RETOUR SUR..] Nos Héros sont Morts ce Soir – l’Aigle Noir et Blanc

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Par Louan Nivesse

Dans son œuvre inaugurale, Nos Héros sont Morts ce Soir, le réalisateur David Perrault, qui a signé quelques années après le malheureux L’État sauvage, nous immerge au cœur du Paris des années 60, une époque révolue où le catch était à son apogée en France. À travers une narration à la fois épurée et empreinte de cinéphilie, il nous propose une vision subtile et nuancée de l’amitié, de la psychologie des protagonistes, ainsi que de l’influence du cinéma sur la société.

L’artiste s’inscrit ici dans la lignée de ces cinéastes qui, à l’instar de Scorsese avec New York, New York, célèbrent avec brio l’âge d’or de son époque en récréant avec minutie l’ambiance des années 60. À travers des décors soignés, des dialogues ciselés et des costumes d’époque, Perrault ranime une période révolue avec une élégance nostalgique. L’utilisation judicieuse du noir et blanc, une caractéristique de l’époque, renforce notre immersion dans cet univers rétro. Son long-métrage se distingue par sa capacité à transcender la simple nostalgie, évitant habilement de se cantonner à la reproduction stéréotypée des clichés de l’époque pour mieux les subvertir, instaurant ainsi un dialogue captivant entre le passé et le présent.

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Au cœur de cette œuvre réside la complexité de l’amitié entre deux personnages, Victor et Simon, d’anciens camarades de la guerre d’Algérie qui se retrouvent dans l’arène du catch. Cette amitié, mise à rude épreuve par la psyché fragile de Victor, s’ébranle lorsque ce dernier exprime le désir de changer de rôle sur le ring, passant du rôle du gentil à celui du méchant. Cette transformation des masques révèle la fragilité de l’identité des protagonistes, une thématique psychologique profonde qui transcende le simple récit sportif. Les performances remarquables de Denis Ménochet et Jean-Pierre Martins apportent une profondeur inestimable au récit, leurs physiques imposants correspondant aux canons des catcheurs de l’époque, tout en dévoilant des nuances psychologiques fascinantes. La mutation de Victor en méchant et les conséquences qui en découlent nourrissent l’intrigue et confèrent à l’histoire une dimension tragique.

Le catch, en tant que fil conducteur du film, devient une métaphore subtile des tensions sociales qui prévalaient à cette époque. La popularité du catch après la guerre d’Algérie reflète la manière dont la société française cherchait à s’évader de ses traumatismes collectifs. Les masques des catcheurs, l’un incarnant le Bien, l’autre le Mal, reflètent le dualisme omniprésent dans la société de l’époque. Les différences de statut entre les catcheurs sont également explorées, ajoutant une dimension supplémentaire d’inégalité à cette relation. Cette représentation métaphorique du catch permet à Perrault d’aborder des thèmes plus profonds sans verser dans une esthétique figée et muséale.

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En somme, David Perrault réussit à entrelacer de manière habile une reconstitution historique minutieuse, une exploration psychologique des personnages et une métaphore sociale au travers de l’univers du catch. Son approche cinéphilique, loin d’être superficielle, nous transporte dans une époque révolue tout en suscitant notre réflexion sur les thèmes universels de l’identité, de l’amitié et de l’évasion. Bien que le rythme parfois hésitant et l’expérimentalisme puissent dérouter certains, il n’en demeure pas moins un hommage précieux à une époque où le cinéma français et la culture populaire étaient en plein essor. Ces images nous rappellent que le cinéma peut à la fois refléter le passé et inspirer l’avenir. Évoquer le catch de la manière dont Perrault le fait est une expérience unique, ce qui confère à son œuvre une saveur à découvrir sans tarder.

Nos Héros sont Morts ce Soir de David Perrault, 1h37, avec Denis Ménochet, Jean-Pierre Martins, Constance Dollé – Sorti en 2013

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