[RETOUR SUR..] Le Vent – D’Est en Ouest

J’ai depuis longtemps eu l’envie de discuter du film Le Vent de Victor Sjöström, principalement parce que je suis convaincu qu’il s’agit d’une œuvre née de circonstances fortuites, ce qui contribue incontestablement à sa rareté. Avant de plonger plus en profondeur dans le film, je tiens à vous présenter brièvement le réalisateur lui-même, l’une des figures majeures du cinéma muet suédois. Son nom est incontournable de cette époque, car il a rapidement marqué de son empreinte le cinéma muet européen, voire mondial. Victor Sjöström, artiste né en 1879, est issu d’une famille d’acteurs, ce qui l’a plongé dès son plus jeune âge dans l’univers artistique. Il est essentiel de souligner que, au début du XXe siècle, la Suède s’est rapidement tournée vers le cinéma en investissant massivement dans les moyens technologiques et financiers. Il s’agissait non seulement d’une source de revenus, mais aussi d’un moyen de rayonner à l’échelle internationale. L’une des figures de proue de cette époque était Charles Magnusson, le producteur emblématique qui dirigeait le studio Svenska Biografteatern. Il a naturellement remarqué et engagé Victor Sjöström en 1912, en tant qu’acteur et scénariste, et bien sûr, en tant que réalisateur.

Grâce à ce producteur, qui disposait de ses propres studios à Stockholm, Sjöström s’est forgé une réputation notable pour trois raisons majeures. Tout d’abord, il a réalisé entre cinq et six films par an, tout en continuant à travailler comme acteur, démontrant ainsi sa grande productivité et rentabilité en tant que cinéaste (enregistrant même un pic de 8 millions d’entrées en 1919, avec une moyenne de 6 à 7 millions). Deuxièmement, ses films se sont distingués par leur caractère novateur, un exemple étant Ingeborg Holm, qui abordait des questions sociales cruciales, comme le destin d’une femme contrainte d’abandonner ses enfants à l’assistance publique suédoise. Enfin, troisièmement, le style de Sjöström était en avance sur son temps, avec de nombreuses expérimentations esthétiques, notamment dans La Charrette Fantôme, où il superposait des images pour représenter les fantômes, une technique inventive qui le rendit célèbre à travers le monde entier. Lors de mes recherches, j’ai trouvé une citation dans un journal américain qui disait : “Victor Seastrom devrait venir en Amérique pour apprendre à ses concurrents comment réaliser des films“. Bien sûr, ils américanisaient son nom, mais l’essentiel était qu’il était reconnu à l’échelle internationale.

Ce vif intérêt pour certains cinéastes suédois a donné naissance à un mouvement cinématographique, connu sous le nom d’école suédoise, qui englobait des réalisateurs partageant une esthétique commune. Cette esthétique se caractérise par des décors naturels vastes et sauvages, créant une atmosphère contemplative qui prend son temps. On y retrouve également des performances d’acteurs particulièrement expressives, flirtant parfois avec le surjeu, comme vous pourrez le constater vous-même dans le film. Naturellement, ces cinéastes ont attiré l’attention à l’échelle internationale. Les Américains étaient friands de l’importation de talents cinématographiques étrangers, comme ce fut le cas avec Lubitsch, Hitchcock, ou Milos Forman dans les années 20. Stiller et Sjöström n’ont pas fait exception, et leur départ pour les États-Unis en a affaibli le cinéma suédois, qui a vu la sortie de seulement six films cette année-là.

C’est alors que Louis B. Mayer, à la tête de la Metro Goldwyn Mayer, a engagé Sjöström aux États-Unis pour réaliser plusieurs longs-métrages, dont Le Vent. Ainsi, ce film se trouve à mi-chemin entre l’esthétique de l’école suédoise et le système de production américain. Cette dualité transparaît dans le scénario, écrit par la scénariste américaine des années 20, Frances Marion, qui s’est inspirée de la nouvelle de Dorothy Scarborough, une auteure typiquement américaine évoquant le Texas et ses coutumes. Cette influence se manifeste également dans la fin du film, imposée par le studio. Exit la mort de l’héroïne, seule dans le désert, et bonjour à une fin quelque peu plus “heureuse”. Par conséquent, l’œuvre devient paradoxale, car la censure limite la violence physique à l’écran, mais introduit en contrepartie une violence morale brutale.

Niché entre le système américain et l’école suédoise, le film évolue à travers des frontières qui le rendent d’autant plus énigmatique. Il comporte un grand nombre de cartons, contrairement aux habitudes de Sjöström en Suède, où il estimait que le public pouvait faire le lien entre deux images sans nécessité de dialogues explicites. Le rythme du film est également plus soutenu, s’éloignant des tendances contemplatives suédoises. Malgré les interférences américaines, Sjöström parvient à insuffler son sens du fantastique dans cette description terre-à-terre de l’Amérique profonde. Il laisse de côté les intrigues liées à la tuberculose pour se focaliser sur les visions cauchemardesques provoquées par le vent, qu’il a représenté à l’aide de six réacteurs d’avions en marche sur le tournage. Le film devient ainsi un étonnant concentré de l’art cinématographique de son auteur, explorant la condition de la femme, une thématique que même les impératifs américains n’ont pas réussi à dénaturer.

Le Vent de Victor Sjöstrom, 1h28, avec Montagu Love, Lillian Gish, Lars Hanson – Sorti en 1928

8/10
Note de l'équipe
  • Enzo Durand
    7/10 Bien
  • William Carlier
    9/10 Exceptionnel
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