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[RETOUR SUR..] Kill Bill: Volume 1 – Un pur objet de Tarantino

Quatrième film de Quentin Tarantino et premier volume de celui-ci, en précisant que le réalisateur considère les deux volumes de Kill Bill comme un seul film (et moi aussi) dans le comptage de sa filmographie, qui va bientôt se clore avec son dixième et ultime film, nous faisons face à une œuvre foncièrement culte. Comme évoqué, le premier volume de Kill Bill, qui fêtera ses vingt ans le 26 novembre cette année, est une œuvre majeure parmi d’autres de la carrière de Tarantino (si ce n’est tous) et marque un tournant dans sa filmographie. Après un Reservoir Dogs1992, un Pulp Fiction 1994 et un Jackie Brown1997 tous investis par le genre du film noir, Kill Bill: Volume 12003 prend un virage différent pour le réalisateur en consacrant ses « deux prochains films » à la vengeance. Sur ce thème, Quentin Tarantino s’exprime comme jamais il ne s’était exprimé, une pleine libération jaillit. Il y a un réalisateur qui s’amuse et prend son pied, et une œuvre culte est née. Revenons sur Kill Bill: Volume 12003.

© TFM Distribution

Le postulat du film est extrêmement basique, c’est un film de vengeance. Mais c’est la façon dont Tarantino met en scène, exploite ce principe, coordonne violence, humour, et références que Kill Bill: Volume 12003 est singulier. Car oui, avant tout, Quentin Tarantino est un réalisateur cinéphile. Ou plutôt un cinéphile réalisateur. Peu importe. Comme le reste de sa filmographie, ce film tient ses racines sur des références évidentes. On peut citer les plus criants avec La mariée était en noir1968 de François Truffaut et Lady Snowblood1973 de Toshiya Fujita qui se rapporte précisément au premier volume. Tarantino fut cinéphile avant d’être cinéaste, c’est bien connu : ses œuvres cinématographiques naissent de sa pure cinéphilie et lui reprocher est une erreur. De fait, Kill Bill: Volume 12003 ne déroge absolument pas à ce principe, et c’est tant mieux puisque le réalisateur a le don de magnifier puissamment ses références pour constituer une œuvre infiniment personnelle. Ce que Tarantino fait, c’est de faire du culte sur du culte, mais comme Quentin est un amoureux inégalable du cinéma, la recette marche et pas qu’un peu. Ce n’est pas si étonnant que ce réalisateur soit un tremplin parfait pour tout novice qui veut s’intéresser au cinéma, ce fut le cas pour moi et aujourd’hui malgré le fait que j’ai élargi mes horizons, Quentin Tarantino est toujours mon réalisateur préféré.

En fait, cela marche car son amour du cinéma transpire tellement et ça en est tellement palpable, que le réalisateur tient le flambeau de la cinéphilie et embrase une étincelle au fond de nous. On aime à notre tour le cinéma. Tarantino a su imposer son style qui se fonde entièrement sur son amour et sa générosité de nous le partager. Son cinéma est à la fois personnel et fédérateur. Au moment même où j’écris ce papier, et vous le comprenez maintenant, je fais du Tarantino. La tournure personnelle de ce papier est simplement la preuve affective que j’ai avec ce réalisateur et de son film qui me caractérise en tant que cinéphile et dont il me plaît d’en parler. Kill Bill: Volume 12003 est idéal pour comprendre le cinéma de Quentin Tarantino, il est même idéal pour commencer sa filmographie car ce film atteste de l’esprit du réalisateur dans la conception de ses films. Là où ses trois premiers films s’essayent à le rendre crédible en tant que cinéaste, Kill Bill: Volume 12003 est le projet qui lui permet de s’assumer complètement.  

© TFM Distribution

Avant tout, Kill Bill: Volume 12003 a un scénario original qui se construit autour d’une idée directrice et dominatrice, la vengeance. Et dans ce premier volume, ce thème est pris sans aucun détour, et est consacré de façon totalement décomplexé. Mais Tarantino impute à son œuvre de vengeance une histoire forte et qui nous fait prendre immédiatement parti pour le personnage de « la Mariée » tenue par Uma Thurman et qui mène la vendetta contre Bill et ses protégés. La première scène nous donne immédiatement un aperçu de l’esprit de Kill Bill: Volume 12003, en assistant à ce que l’on croit être l’exécution du personnage d’Uma Thurman. Nous sommes d’ores et déjà pris aux tripes devant le ton glacial de cette scène. Pour évoquer le synopsis qui donne le contexte et confère la malléabilité scénaristique de Tarantino pour mettre en scène son histoire de vengeance, il s’agit de s’attarder sur le personnage d’Uma Thurman, Beatrix Kiddo, qui subit de plein fouet la cruauté de Bill dans ce qu’on aperçoit être un carnage et un massacre de toutes les personnes présentes à sa répétition de mariage, à commencer par elle (même si elle survit miraculeusement à la fusillade et à la balle dans son crâne logée par Bill). Cette infâme barbarie est orchestrée par les Vipères Assassines, l’organisation criminelle dirigée par Bill et dont a fait partie Beatrix auparavant, et qui a décidé de changer de vie. Une fois le mal fait, la Mariée est investie par un seul désir, la vengeance. Son projet de vendetta se cantonne à tous ceux responsables de l’effroyable massacre, Bill (bien évidemment), et les trois femmes et l’homme qui l’ont accompagné, tous doit être tués de sa main. Voilà ce qui sonne être le postulat sur lequel le traitement de la vengeance par Tarantino se base. Le réalisateur, dans ce premier volume, érige une dimension délibérée de la vengeance qui tend à la décliner par bien des facettes. La facette symbolique, la facette perpétuelle et la facette fataliste caractérisent l’esprit dans lequel Tarantino inscrit la continuité de son histoire ici. 

Très vite, nous retrouvons cette approche de la vengeance qui se retrouve lors de la première scène d’action de Kill Bill: Volume 12003. À noter que d’un point de vue chronologique, il s’agit de la deuxième confrontation de Black Mamba, mais Tarantino misant sur un acheminement non linéaire de son récit, il construit son approche de la vengeance avec un côté très jouissif. Cette première scène de bagarre entre Black Mamba et Vernita Green, deuxième sur la liste de Beatrix, donne tout de suite le ton et démontre les facettes évoquées auparavant. Quand La Mariée arrive finalement à tuer son ancienne partenaire vipère assassine et que le meurtre s’est malencontreusement déroulé sous les yeux de sa fille, Beatrix lui dit sous un sérieux impeccable qu’elle aura tout à fait le droit de se venger. Tarantino admet donc le cercle vicieux que la vengeance inspire. Mais il ne se contente pas de donner du poids son thème qu’à travers le prisme de son protagoniste principal, comme tout bon film, il accorde une attention poussée à ses antagonistes. L’introduction de son antagoniste principal est tout simplement prodigieuse avec une scène qui relève être une animation au style japonais où le réalisateur n’est pas timide avec les effusions de sang, une manie (plaisante) de sa cinéphilie parmi d’autres.

En évoquant le passé de O-Ren Ishii dans la forme d’un hommage à la culture japonaise (hommage très présent dans le film), Tarantino confère à son personnage une grande posture, en apprenant qu’elle est également un pur produit issu de la vengeance, nous sommes tout de suite dans la capacité de comprendre que le film construit une confrontation finale dantesque. Et c’est vrai, puisque la deuxième partie du film se concentre là-dessus, en une sorte de huis clos avec une utilisation du décor très efficace. Le point final de leur confrontation, dans un cadre extérieur magnifique et enneigé, rappelant alors la référence à Lady Snowblood de Toshiya Fujita, amène Tarantino à cette fois-ci accorder un côté beau à son thème. Cette scène vient prendre à contre-courant un traitement de la vengeance jusqu’alors très violent, décomplexé et fatal, en illustrant du beau et du respect entre les deux femmes prêtes à tuer l’autre. Une certaine quiétude émane de ce combat final qui fatalement tend à être sacrément épique. La vengeance chez Tarantino, c’est quelque chose de sérieux et dans Kill Bill son traitement est riche et manipulé avec aisance pour le bien de son histoire qui nous tient forcément à coeur et qui nous transporte. 

Il y a un point dans Kill Bill: Volume 12003 qui le rend hautement appréciable, c’est l’amusement de Quentin Tarantino a pour mettre en scène tout son film. J’ai beau être biaisé par mon fanatisme, lors de mon dernier visionnage, à aucun moment dans ce film celui-ci n’a de moment creux. Ce film se savoure de long en large, à la manière dont Tarantino s’applique dans sa mise en scène. En tant que cinéphile professionnel, Quentin Tarantino a toujours eu une esthétique rétro, dès la première seconde. Chaque film commence par une police d’écriture vintage figurant dans le générique. Son travail de réalisation suit cette logique, si bien que les scènes d’action sont filmées à la manière des films et d’un cinéma qu’il chérit tant. Kill Bill: Volume 12003 est le truchement de bien des hommages à des genres de films, allant des films d’arts martiaux aux westerns spaghetti. Toujours dans le référentiel de ces scènes d’action où la caméra de Tarantino s’amuse et où la photographie de Robert Richardson excelle, il y a également un soin apporté aux bruitages. Cela va du simple saut jusqu’à l’inertie des armes létales, en passant inévitablement par le bruitage des coups de poing. Ces bruitages sont forcés mais dans l’intention artistique de Tarantino, cela ne renforce que son style et le charme inhérent à Kill Bill: Volume 12003. Maintenant, accordons un instant à la place laissé à la violence. Cela a toujours été une critique qui a poursuivi le réalisateur, bien qu’elle ne soit pas dénuée de raison.

Son appétit pour la violence n’est selon moi pas malsain comme les critiques le soulignent. Elle atteste simplement d’une envie de vibrer en regardant un film, le cinéma est l’art des possibles alors pourquoi pas contempler une femme démembrer et tuer un gang de 88 tueurs japonais ? Cela fait partie des libertés qu’on peut prendre au cinéma, des visions qui sont inhérentes qu’a cet art, et en plus d’être totalement justifié, on admet prendre du plaisir à regarder de telles scènes. On vibre car Tarantino veut qu’on vibre. Kill Bill: Volume 12003 est un socle propice à cette considération de la violence qui a du recul et qui est mise en scène de façon jouissive. Mais ce qui concède au film sa place d’objet filmique considérablement culte, c’est bien évidemment sa bande originale. Les goûts musicaux de Tarantino sont indéniables dans son cinéma, et particulièrement dans Kill Bill: Volume 12003. La musique a le super-pouvoir de sacraliser tout ce qu’on admire à l’image, elle obtient un rôle immensément important qui d’exacerber tout l’esprit du film. Rien que le thème musical sifflé par le personnage d’Elle Driver joué par Daryl Hannah dans ce couloir d’hôpital suffit à rendre cultissime un film. Tout les moyens que Quentin Tarantino exerce dans la réalisation de son film sont issus de sa volonté à mettre sur un piédestal une passion qui l’anime et qui dans Kill Bill: Volume 12003 est modernisée, ce qui en outre est la définition même de son style cinématographique. 

© TFM Distribution

Finalement, Kill Bill: Volume 12003 est le projet sur lequel Quentin Tarantino fait d’un film un objet de cinéma sensationnel. Appuyé constamment sur ses envies, son amour pour le cinéma et les références qui en découlent, la crédibilité apportée à son histoire et à ses personnages, fait que ce film est riche et généreux. Le thème de la vengeance qu’il accorde dans son projet est également traité avec richesse, il nourrit son thème avec moult manières, il personnifie même la vengeance à travers le personnage de Bill, il incarne l’idée même de la vengeance. C’est ce qu’en outre apporte Kill Bill: Volume 12003, il montre la partie de plaisir (en un sens) qu’amène la vendetta de Beatrix Kiddo, alors que le second volume change le ton et vient à être plus rude, plus personnelle, la quête de vengeance touche davantage le cœur et l’esprit de l’ancienne tueuse à gages. Mais en attendant que ce papier arrive, je me réjouis dans celui-ci d’avoir pu m’exprimer sur mon film préféré. 

Kill Bill: Volume 1 de Quentin Tarantino, 1h52, avec Uma Thurman, Sonny Chiba, Lucy Liu – Sorti au cinéma le 26 novembre 2003