[RETOUR SUR..] Anatomie d’un rapport – Chute d’un couple (FEMA 2023)

Luc Moullet représente l’une des énigmes du cinéma français. Tout d’abord critique aux Cahiers du cinéma, puis producteur et réalisateur, il demeure l’un des représentants les plus méconnus de la Nouvelle Vague. Avec Anatomie d’un Rapport, il réalise pour la première fois un long-métrage en collaboration avec sa compagne Antonietta Pizzorno. Sorti en 1975, ce film est à la fois extrêmement drôle et captivant, notamment grâce à son propos politique toujours d’actualité. Il relate l’histoire d’un couple qui a perdu toute connexion sexuelle et de leurs tentatives de rapprochement, ou au contraire, de leur éloignement.

Anatomie d’un rapport raconte une chute, celle d’un couple qui n’arrive plus à se comprendre au lit, et comme toute chute, celle-ci est inévitable. Malgré leurs efforts respectifs, ils sont condamnés à ne plus pouvoir se supporter mutuellement. La faute incombe au comportement insupportable du protagoniste, brillamment interprété par Luc Moullet, qui se moque des comportements masculins liés au plaisir sexuel et à la compréhension du féminisme. Ce personnage est délibérément dépourvu de nom, afin de le présenter comme un porte-étendard des hommes en général. Près de dix ans après mai 68, Anatomie d’un rapport brosse le portrait d’une société en pleine évolution relationnelle. Le mouvement de libération des femmes entraîne une mutation profonde de la société française des années 1970, explorée avec humour par ce film.

En concentrant sa critique politique sur un seul couple, Moullet et Pizzorno réduisent leur intrigue à un exemple représentatif. Afin de représenter un maximum de situations, le personnage de Luc Moullet se doit d’être caricatural au possible. Cela offre à ce cinéaste l’opportunité d’incarner toute la bêtise masculine à travers un personnage odieux et dépassé par les événements de son époque. Il se permet même de se rire de certaines anecdotes personnelles, telles que le transfert d’argent non déclaré qui lui a servi à financer un film. Cette façon de briser le quatrième mur permet une nouvelle fois de se moquer de cette version absurde et burlesque du cinéaste, décrite par Moullet et son épouse. La frontière entre réalité et fiction est complètement effacée lors de la séquence finale, lorsque le personnage d’Elle crie “coupez” et que le film s’arrête. Quelques secondes plus tard, l’image reprend. À ce moment-là, les deux cinéastes, Moullet et Pizzorno, débattent de cette fin abrupte, en comparant leurs points de vue. Cela semé une fois de plus le doute quant à la fictionnalité de cette histoire.

En ce qui concerne la mise en scène d’Anatomie d’un rapport, on remarque que Moullet reprend certaines récurrences de son œuvre avec des plans minimalistes. Il n’y a pas de travellings ou d’originalités filmiques, il se contente de plans fixes dans des lieux classiques, sans décors particulièrement extravagants. Une table, deux chaises et des murs blancs : voilà le dispositif qui lui permet de concentrer l’attention du spectateur sur les dialogues et les sujets importants de son long-métrage. Pourtant, ce dispositif “réaliste” est à double tranchant car il n’est pas pleinement assumé par le personnage farfelu qu’est le protagoniste. Celui-ci accentue le caractère fictionnel du film, tandis que de nombreux éléments contrastent étrangement, ce qui rend ambigu le rapport entre le film et son sujet.

C’est quoi le cinéma selon Anatomie d’un rapport ? Ce long-métrage donne à Antonietta Pizzorno et Luc Moullet l’occasion d’évoquer les changements de mœurs des années 70 en abordant le sujet sous différents angles. Que ce soit l’émancipation féminine ou la fausse incompréhension masculine, le film aborde ces évolutions sociétales avec beaucoup d’humour et d’autodérision. C’est également l’occasion pour Luc Moullet d’analyser sa relation au cinéma, révélant sa vision des relations amoureuses à travers le prisme des références cinématographiques, et donc, d’une certaine manière, à travers un filtre fictionnel rempli de clichés sexistes. Ce film demeure toujours aussi contemporain et intéressant, notamment compte tenu des changements sociétaux en cours.

Anatomie d’un rapport, 1h22, avec Luc Moullet, Antonietta Pizzorno, Marie-Christine Questerbert – Sorti le 29 septembre 1976, projeté à la 51e édition du Festival La Rochelle Cinéma

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