[FILMOTHÈQUE] Soul of a Beast – La bête dans le bizarre

Soul of a Beast, le second long-métrage du réalisateur allemand Lorenz Merz, émerge tel un phénix des cendres de la narration conventionnelle pour s’imposer comme une proposition audacieuse et captivante dans le circuit du cinéma étranger. Le film suit les plis du temps, passant du passé au présent, puis au futur, tel une structure en trois actes, offrant ainsi aux spectateurs une expérience unique. Dans cet univers se dessine un triangle amoureux ténébreux mais simpliste, impliquant une belle jeune femme, son charmant jeune amoureux et son meilleur ami partageant une relation mutuelle. Ajoutez à cela des thèmes profonds et une énergie politique, et le film s’élève au-delà de sa nature à peine fonctionnelle.

Pourtant, Lorenz Merz agit tel un étrange être fantastique. Convaincu de l’histoire qu’il choisit de raconter, il ne se laisse pas séduire par les formules modernes de ses contemporains. Au contraire, il crée un univers délirant, où les rivières de sang coulent dans une forêt peuplée de créatures, plongeant ses personnages de manière organique dans la folie. Cette approche devient alors une matière de rêves, oscillant entre le doux et l’effroyable. On est pleinement immergé et étrangement satisfait par ce mélange unique de mélodrame grand public et d’étranges choix d’écriture.

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TRIANGLE & RÉALISME

Merz ne sacrifie pas la logique au profit de l’esthétique. Tout au long du film, il maintient un réalisme rigoureux. Le portrait affectueux de la pré-maternité et de la jeunesse paternelle que l’on a pu découvrir dans le documentaire de Bing Liu, Minding The Gap, se trouve ici, mais les fondations sont construites sur un certain degré de maturité et de vulnérabilité. Gabriel, notre protagoniste, est un père adolescent qui doit garder le cap dans un appartement désolé, tandis que son ex-petite amie, mère de son fils Jamie, est une jeune fille riche aux responsabilités limitées. Gab passe la majeure partie de son temps à chercher des subsistances, faire la fête, boire, appeler occasionnellement sa mère et traîner avec son meilleur ami Joel.

L’entrée en scène de Corey, la petite amie de Joel, dans la vie de Gabriel n’est pas le point culminant du triangle amoureux. L’histoire d’amour alternative entre eux se développe lentement. Le conflit entre les deux hommes et la fin de leur amitié délicieuse est triste, mais elle n’est pas stéréotypée pour autant. Les réalisations sont beaucoup plus subtiles et riches qu’elles n’y paraissent. Lorsque Gabriel a finalement franchi l’étape la plus importante de sa vie, il se retrouve plongé dans les ténèbres, totalement seul. La désolation dans son cœur est plus déprimante que les manifestations sous couvre-feu auxquelles participe sa ville.

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UN MONDE DE FANTASME, D’ÉTRANGETÉ ET D’ÂME

Pourtant, Soul of a Beast n’est pas conçu comme un affrontement entre les tourments intérieurs et extérieurs d’un individu. La rébellion de l’État est le moindre de ses problèmes. Dans l’esprit de Gabriel, le fantasme a remplacé la réalité. Ce n’est pas seulement ses actions qui le confirment, mais également l’approche superficielle de Lorenz et de sa caméra. Il projette une série d’images provocantes dans l’esprit du spectateur. Ces images ne se limitent pas à des scènes d’action ultra-violentes, sanglantes et électrisantes. On y trouve une girafe, dont le long cou symbolise la longue guerre intérieure de l’homme avec un passé hanté. Une présence féminine fantomatique presque shakespearienne, drapée dans un châle texturé en soie, fait également son apparition. Nous assistons même à des scènes de sexe surréalistes. Des samouraïs surgissent de nulle part. Dans cet univers, un garçon et une fille, dans un moment presque intime, sont interrompus par des militants vêtus de feuilles et de peinture noire. Ce film fait écho de manière saisissante aux Anges déchus de Wong Kar-Wai, où la cinématographie caractéristique de ce dernier s’intègre parfaitement.

L’œuvre de Lorenz Merz semble être bâti sur un fantasme. Ce film est né lorsque le fils du réalisateur est né, coïncidant avec la mort de ses amis. Il le décrit comme “une sensation identique – comme apercevoir un instant à travers une brèche soudaine dans le ciel vide.” Cette sensation nous habite. Il est dégoûtant, mais aussi captivant.

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ENTRE RÊVES ET RÉALITÉ

Soul of a Beast n’est pas une simple collection vide d’images et de sons. Les performances d’acteurs sont également brillantes. Pablo Caprez est un véritable plaisir à voir à l’écran. Son parcours est sombre et peu engageant, mais il dégage une allure et une énergie si envoûtantes qu’on ne peut s’empêcher d’applaudir. Luna Wedler, l’actrice suisse, ne bénéficie pas de beaucoup de temps à l’écran, mais elle promet un réel talent dans ses moments de présence. Tonatiuh Radzi brille dans le rôle de Joel, reflétant constamment la douleur et la gloire. Ella Rumpf, quant à elle, ne bénéficie pas du même matériau que dans Grave de Julia Ducournau (dans lequel elle incarne la sœur aînée cannibale Alexia), mais son énergie et sa confiance en tant que Corey sont dignes de mention.

Bien qu”il connaisse quelques problèmes de rythme dans la seconde moitié et que l’écriture de la première moitié ne coïncide pas aussi intelligemment que celle qui suit, Soul of a Beast reste un objet des plus impressionnants visuellement. Il ose provoquer les yeux et l’esprit, invitant à assimiler l’insanité. Cette épopée incandescente se distingue par son mélange inattendu d’esthétiques, sa force émotionnelle et son audace narrative, faisant de Lorenz Merz un réalisateur à suivre de près dans le paysage cinématographique international. Une œuvre éblouissante qui embrase l’âme et captive l’esprit du spectateur.

Soul of a Beast de Lorenz Merz, 1h50, avec Pablo Caprez, Luna Wedler, Ella Rumpf – Disponible en exclusivité sur FILMO

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