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[ANALYSE] Gareth Edwards, géant du flottement (Monsters, Godzilla, Rogue One)

Deux silhouettes contemplent ensemble une créature colossale, loin à l’horizon. Peu importe qu’elle soit extraterrestre, ancienne ou métallique. L’intérêt se porte sur les protagonistes en premier plan. Avec ce Signature Shot, Gareth Edwards établit un geste, une sorte de testament de sa filmographie : mettre en avant ses personnages alors que les créatures destructrices ne sont que l’arrière-plan. L’œuvre cinématographique de Gareth Edwards se résume à trois opus, chacun, à sa manière, abordant des thèmes similaires : Monsters, où deux personnages traversent un territoire infesté d’extraterrestres gigantesques, Godzilla, où une famille tente de se réunir pendant des affrontements titanesques, et enfin Rogue One, spin-off de Star Wars, où un petit groupe de rebelles vole les plans de l’immense Étoile Noire. À travers ces trois films, Gareth Edwards impose une empreinte singulière, nous invitant à voyager dans un univers mêlant monstres et humanité.

En 2010, avec Monsters, Gareth Edwards se voit contraint de raconter une histoire ambitieuse avec un budget limité à seulement 500 000 dollars. Souvent, un budget restreint révèle la capacité d’un réalisateur à faire preuve d’inventivité, comme ce fut le cas pour Steven Spielberg avec “Amblin'” et Duel, et ce le fut également pour Edwards avec Monsters. Ce “cinéma guérilla” se manifeste dans de nombreux plans filmés sans autorisation, avec des figurants issus du cercle proche des techniciens. Une équipe réduite, comptant moins de dix personnes, a réussi à donner naissance à ce petit chef-d’œuvre, incarnant l’esprit de la “cinématographie guérilla”. Cette contrainte a poussé le jeune réalisateur britannique à trouver des alternatives pour filmer les monstres de son œuvre, évitant les prises de vue directes qui auraient souligné le manque de budget.

Il a ainsi eu recours à des caméras à vision nocturne portées par des militaires ou à les insérer au cœur d’orages, où les éclairs les rendaient visibles par intermittence. Une méthode astucieuse fréquemment utilisée pour donner de l’impact aux monstres et aux créatures, semblable à l’approche de Guillermo Del Toro dans Pacific Rim, où les affrontements entre monstres de fer et kaijus gigantesques se déroulent souvent en pleine tempête. Une façon ingénieuse de jouer avec les zones d’ombre, laissant ainsi l’imagination du spectateur s’activer, un puissant moteur d’angoisse. Cette technique a tant séduit qu’Edwards l’a réemployée dans Godzilla en 2014, même avec un budget de plus de 160 millions de dollars. Cela témoigne de son intention artistique : Edwards affectionne dissimuler ses créatures dans l’ombre. Les rares moments où il les dévoile à l’écran en deviennent d’autant plus impressionnants et captivants, évoquant inévitablement la dernière séquence de Monsters, le climax de Godzilla ou encore le grand final de Rogue One.

En réalité, les scènes les plus marquantes chez Edwards ne sont pas celles empreintes de spectaculaire et de gigantisme. Ce sont plutôt ces moments de quiétude où le réalisateur britannique offre une certaine liberté à ses personnages. Dans Monsters, ce duo formé par Scoot McNairy et Whitney Able, complice à l’écran comme dans la vie, nous gratifie des instants les plus beaux. Des moments d’errance relevant davantage du road-movie que du film de monstres. Le même constat s’applique à “Godzilla”, où Edwards parvient à créer une œuvre oscillant entre film de monstres et drame familial. Évidemment, il ne délaisse pas l’essence de Godzilla, avec toute sa métaphore atomique : il suffit de voir la toute première bande-annonce où un discours de Robert Oppenheimer, inventeur de la bombe atomique, est cité. Les cicatrices chéloïdes sur le corps du monstre rappellent les séquelles des survivants d’Hiroshima et de Nagasaki, redonnant ainsi une nouvelle impulsion à la mythologie instaurée par la Toho.

Un esprit plus humain, plus émouvant, à travers le drame. Si la scène d’ouverture est si percutante, c’est parce qu’on s’attache précisément à cette famille. Les personnages ne sont pas motivés par la recherche scientifique ou la volonté de vaincre Godzilla, mais simplement par des émotions primaires telles que l’amour ou le deuil. À travers son cinéma, Gareth Edwards a démontré qu’il était possible d’infuser des émotions sans nécessairement recourir à des enjeux planétaires. Son meilleur exemple demeure sans doute son dernier film en date : Rogue One, A Star Wars Story. Si la saga de George Lucas a toujours placé la famille et l’amour en priorité (du moins dans la trilogie originale), c’est pour ces personnages que nous aimons Star Wars, pour l’émotion qu’ils dégagent et pour le tragique qu’incarne la famille Skywalker. Dans Rogue One, les protagonistes principaux n’ont pas pour ambition de sauver le monde ; le moteur demeure une fois de plus la famille et les relations entre les personnages. La protagoniste Jyn Erso s’engage avec les rebelles dans l’objectif de retrouver son père, bien plus impactant que la simple volonté de sauver l’univers.

Ce ressenti, le spectateur l’éprouve en raison de son identification à des enjeux simples, contrairement aux quêtes pour sauver l’univers, paraissant bien plus inaccessibles. Gareth Edwards a saisi cette essence dès 2010 et n’a cessé de partager sa vision du cinéma, même au sein de colosses cinématographiques comme Disney. Le cinéma de Gareth Edwards ? C’est une confrontation d’échelles, des œuvres restituant toute leur humanité aux personnages. Dans un paysage de blockbusters lisses, ces instants de flottement offrent un souffle bienfaisant. Gareth Edwards incarne un cinéma à la fois spectaculaire et apaisant, des moments où une œuvre respire, ces moments sont mes préférés parmi ces trois films.

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