[CRITIQUE] Toute la beauté et le sang versé – Il faudra continuer les recherches

Ce n’est pas tous les jours que l’on voit un documentaire qui réussit aussi bien que celui-ci à équilibrer une double narration pendant deux heures. Une collègue cinéphile m’a dit qu’elle aurait volontiers passé quelques heures de plus avec les différents protagonistes, et je ne peux qu’être d’accord avec elle. C’est peut-être le seul inconvénient que je vois à ce film, réalisé par Poitras de CitizenFour : Il raconte habilement ses deux histoires parallèles, mais imaginez ce qu’une heure de film supplémentaire aurait pu nous donner. Ce n’est pas souvent que l’on souhaite plus d’histoire. Les deux récits qui partagent le film concernent tous deux la légendaire photographe d’art et activiste Nan Goldin.

Le premier se déroule dans un passé récent ainsi qu’à notre époque et détaille les efforts qu’elle et ses compatriotes déploient pour attirer l’attention sur la famille Sackler. Il s’agit des richissimes Américains qui dirigent Purdue Pharma, la société qui a trompé le public sur les propriétés addictives de l’Oxycontin pour des milliards de dollars et qui a contribué à déclencher la crise actuelle des opioïdes. La famille est également un grand nom du monde artistique aux États-Unis et au Royaume-Uni, puisqu’elle a donné des millions à des galeries d’art à New York et à Londres. C’est là que Mme Goldin intervient avec ses manifestations militantes et, compte tenu de son profil – ses œuvres figurent dans bon nombre de ces galeries -, elle s’attaque au problème de l’intérieur. Elle est également une survivante, ayant souffert de toxicomanie.

© Pyramide Distribution

L’autre histoire racontée ici concerne les origines de Goldin, son enfance avec des parents dysfonctionnels et une sœur qui s’est suicidée, sa vie et son travail dans le Bowery à Manhattan à la fin des années 1970 et dans les années 1980, ses photographies documentant ceux qui vivaient, faisaient la fête et mouraient dans ce quartier jusqu’à l’ère du sida. Tout cela est fascinant – ses témoignages francs sur ce qu’était la vie à l’époque, étayés par ses preuves photographiques éclatantes. Le film réussit parfaitement à recréer cette époque et aurait pu lui être entièrement consacré – j’aurais été intéressé par les témoignages de ceux qui étaient là et par ce qu’ils pensaient des efforts de Goldin pour trouver une légitimité dans le monde de l’art dominé par les hommes. Certains personnages – comme David Wojnarowicz – m’étaient familiers grâce à d’autres documentaires de l’époque, mais j’aurais aimé entendre John Waters ou Jim Jarmusch, tous deux présents dans les diaporamas de Goldin.

L’histoire militante des Sackler est également tout à fait convaincante – en revanche, il aurait été intéressant que des journalistes d’investigation expliquent comment cette entreprise familiale a fait la promotion de son produit hautement addictif auprès des Américains (et des Canadiens) et comment, par la suite, elle a retiré des milliards de dollars à Purdue avant que l’entreprise ne fasse faillite. Cela dit, je le répète : le film tel qu’il existe aujourd’hui est tout à fait réussi. Il m’a juste laissé sur ma faim. A mon avis, il faudra continuer les recherches.

Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras, 1h57, documentaire – Au cinéma le 15 mars 2023.

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