[CRITIQUE] Universal Theory (L’Etrange Festival 2023 – Jour 6)

Bon, c’est sûrement présomptueux de ma part de dire ça, mais j’ai vu l’un de mes films préférés de 2024. Bienvenue dans mes chroniques de l’Etrange Festival épisode 6.

UNIVERSAL THEORY

Il y a des films qu’on aime, qu’on trouve bon et il y en a certains qui, au détour d’une scène, deviennent gigantesque. Cela fait longtemps qu’une nouvelle sortie ne m’avait pas donné un tel vertige, mais c’est le cas pour le nouveau film de Timm Kröger, Universal Theory. En première mondiale à Venise, l’Etrange s’est procuré ce film assez unique, ésotérique, dont l’action se déroule dans les années 60 dans les Alpes suisses. On y suit Johannes en passe de devenir docteur en physique avec un doctorat basé sur une théorie pour le moins étonnante. Durant un séminaire en Suisse, le jeune homme va faire diverses rencontres bouleversant sa vie à jamais.

Comment aborder ce film riche de tant d’influence. C’est sûrement l’une des premières raisons qui m’a bouleversé à travers ce film. Moi qui suis un immense fan de l’âge d’or allemand, quel plaisir de trouver un film autant influencé par le cinéma langien comme par le romantisme allemand. Esthétiquement, Universal Theory est époustouflant, Timm Kröger puise donc dans ses prédécesseurs, mais, à travers sa photographie, ses cadres et sa musique, fait aussi étrangement penser à une série B de science-fiction des années 50 ou encore à la bande-dessinée. Cette histoire qui va dériver sur une enquête policière semble tout droit sortie d’un Tintin duquel on aurait changé tous les personnages. Le réalisateur cite Hitchcock ou encore Tarkovski, il est clair que le film transpire certains des thèmes de ces deux immenses réalisateurs.

© Neue Visionen Filmverleih

Universal Theory se rapproche du cinéma classique hollywoodien, de par sa musique et de par son contexte, dont il est assez amusant de voir mentionnée la célèbre phrase de Oppenheimer sur le destructeur des mondes, après le film de Nolan. Ce classicisme, on le ressent aussi dans ses personnages. Johannes semble tout droit sorti de ce thriller hitchcockien où l’innocent se retrouve confronté à un complot qui le dépasse, tandis que la splendide Olivia Ross, marque clairement les esprits dans son rôle vaporeux de femme fatale insaisissable, malgré son temps d’écran limité.

Je parle de la forme, mais Universal Theory est absolument saisissant de par son fond.

Un fond qui se trouve être très actuel puisqu’aussi étonnant que cela puisse paraître, quand des scientifiques se réunissent dans les Alpes suisses dans les années 60, ils parlent de multivers. Un sujet actuel donc, qui a été traité dans les grosses productions Marvel, comme dans des studios américains plus indépendants avec l’évident Everything Everywhere All at Once. Mais c’est peut-être un film allemand qui tient le plus beau discours sur la question des mondes parallèles, là où EEAAO prenait ce thème pour traiter des questions sociales ou familiales, Universal Theory, dresse un grand mélodrame, encore un rapprochement avec l’âge d’or, tant allemand qu’hollywoodien, et dresse surtout à travers Jan Bülow et Olivia Ross, transcendants de justesse, un magnifique portrait d’un amour impossible qui atteindra un paroxysme émotionnel totalement dingue.

© Neue Visionen Filmverleih

Je l’ai dit en introduction, Kröger, réalise un film ésotérique, flou, qui mêle le fantastique avec le réel d’une manière sublime. La première comparaison qui me vient à l’esprit, en regardant notamment les nuages déformés s’écrasant sur les montagnes, me semble être le cinéma de Lars Von Trier, plus particulièrement Melancholia et Antichrist, dressant tous deux certaines scènes hors du temps. C’est aussi ça Universal Theory, une perte sensorielle des repères du spectateur qui, au fil du film va, comme Johannes perdre ses repères temporels et va parfois rebalancer les cartes de ce que l’on tenait pour acquis. La richesse du film, déjà abordée par ses influences, ses thèmes ou sa photographie, vient aussi à travers la densité de son scénario. Un scénario interminable, débutant par de simples conflits d’idées entre physiciens, débutant par l’image de cette Karin, dont Johannes n’arrive pas à se défaire. Mais peu à peu, la théorie qu’a établi le jeune homme nous rattrape et irradie le scénario. Plus le film avance, plus il est dense et flou. L’inspiration de Tarkovski vient sûrement d’ici, de la densité et de l’opacité dans lesquelles le film s’enfonce petit à petit. Ainsi, les questions du multivers, sujets à sourire au début du film, prennent de plus en plus de place, perdent tous les protagonistes, mais surtout, transcendent le métrage en exploitant tous les thèmes exposés auparavant avec une grande justesse.

Difficile de parler du film en en disant le moins possible. Ce qui est sûr, c’est que Universal Theory est une œuvre sans pareil, unique dans son paysage cinématographique. Puisant chez Hitchcock, chez Lang, chez Tarkovski, dans la bande-dessinée ou dans le romantisme allemand, Timm Kröger tient un très grand film, réalisé à la manière des films classiques, ayant des acteurs tous parfaits dans l’incarnation de leur personnage et parlant de sujets opaques avec une précision folle et posant des questions qui ne trouveront pas forcément de réponse. Mais avons-nous besoin de tout savoir d’une œuvre ? absolument pas, et la beauté de Universal Theory réside notamment dans ses faces ombragées, dans cette théorie du tout, où tout ne peut être expliqué. Gigantesque film, qui me hantera, je pense, toute ma vie durant.

Universal Theory de Timm Kröger, 1h58, avec Jan Bülow, Olivia Ross, Hanns Zischler – Au cinéma le 21 février 2024.

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