[CRITIQUE] Suzume – Refermer les cicatrices du Japon

Si Makoto Shinkai est un réalisateur intéressant dans le milieu de l’animation japonaise depuis une quinzaine d’années, il n’est devenu un grand nom qu’à partir de la sortie de Your Name en 2016, un des plus beaux films d’animation de ces dernières années. Trois ans plus tard, il revient avec Les Enfants du Temps, très joli film, mais qui tentait un peu trop de reproduire la même recette du succès de Your Name, sans avoir d’ingrédients aussi savoureux.

Suzume, son nouveau long-métrage, présenté en avant-première à la Berlinale 2023, était attendu au tournant pour l’un des nouveaux maîtres de la Japanimation.

On suit ici le parcours de Suzume, une jeune fille de 17 ans, embarquée dans une aventure à travers le Japon, pour refermer des portes ancestrales dont l’ouverture provoque des séismes. On retrouve ici plusieurs motifs visuels et narratifs de la filmographie du cinéaste, comme l’amour impossible, la spiritualité de la nature, ou le lien entre les êtres chers à travers les dimensions, mais ce film se démarque de ses précédents sur beaucoup plus d’aspects.

© 2022 “Suzume” Film Partners

Étonnamment, le film est vraiment drôle, un ton humoristique que Shinkai n’adoptait que brièvement jusqu’ici. Là, c’est véritablement au cœur de la narration, puisque l’on a un personnage qui devient malgré lui un ressort comique. Sans trop en dévoiler, un objet insolite prend vie et se met à marcher et parler comme un humain. On pouvait penser que recourir à ce genre d’idée était très risqué et que seul Hayao Miyazaki avait réussi à rendre cela digeste et intéressant, mais force est de constater que Makoto Shinkai s’en sort formidablement bien et que cette idée fonctionne du tonnerre.

D’ailleurs, c’est peut-être le film du cinéaste qui, inconsciemment ou non, puise le plus dans la filmographie de Miyazaki : on y retrouve de nombreuses références visuelles et motifs présents dans Le Château Ambulant, Le Voyage de Chihiro, mais aussi Kiki la Petite Sorcière. Ce dernier est sans doute le plus référencé puisque l’on a un personnage de chat qui parle dont l’espièglerie prête souvent à rire, mais aussi le fait de suivre une jeune fille qui quitte son foyer pour partir à l’aventure. On peut également noter une citation plus explicite du film lorsque dans la voiture la première chanson qui passe est également la première que l’on entend à travers la radio accrochée au balai de Kiki au début de son voyage.

© 2022 “Suzume” Film Partners

L’aventure de Suzume pour refermer ces portes magiques laissant s’échapper des « vers » à l’origine de violents tremblements de terre n’est pas anodine. En effet, le Japon est un pays très enclin aux activités sismiques, chose avec laquelle les japonais sont habitués à vivre. Dans ce film, Makoto Shinkai nous invite à colmater littéralement les brèches de son pays, et de se reconnecter à une tragédie récente : le tsunami de Fukushima en 2011. La jeune Suzume devra y retourner pour mieux comprendre ce qui est arrivé à sa mère, et pourquoi elle est liée à ces histoires de portes et de gardiens ancestraux.

Si le film ne parvient pas à établir la même puissance émotionnelle que Your Name, il n’est quand même pas en reste de ce côté-là dans son troisième acte. En revanche, c’est nettement le film le plus ambitieux et généreux visuellement de son auteur, offrant un double climax assez impressionnant. Il parvient à s’écarter de ses gimmicks habituels, ce qui peut décontenancer un spectateur familier de son cinéma, mais c’est justement là où il se démarque du reste, et notamment de son précédent film.

En résulte un road movie très sympathique, à l’humour surprenant, venant apporter une joie de vivre bienvenue dans cette histoire qui tente de réparer les traumatismes d’un peuple à la merci de grandes catastrophes naturelles. Makoto Shinkai confirme ici son talent de conteur d’histoires singulières, et émouvantes, avec des personnages attachants. Un film d’animation de grande qualité, bien qu’il n’atteigne pas la formidable symbiose formelle et narrative de Your Name.

Suzume de Makoto Shinkai, 2h02, avec Eri Fukatsu, Koshiro Matsumoto, Shôta Sometani – Au cinéma le 12 avril 2023.

8/10
Note de l'équipe
  • JACK
    8/10 Magnifique
    Extraordinaire Suzume, qui donne un sens poétique aux traumas récents du Japon. Par l'intermédiaire du road movie, Makoto Shinkai métaphorise les catastrophes naturelles qui frappent son pays et donne de la grandeur aux ruines qu'elles laissent, imprégnées d'émotions.
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