[CRITIQUE] Super-bourrés – Juste un doigt

Au cœur de nos traditions, où les lumières de la capitale peuvent facilement éclipser les joyaux régionaux, émerge la comédie régionale. De Bienvenue chez les Ch’tis aux triomphes récents de Les Bodin’s en Thaïlande, Les Déguns 2 ou encore Les Petites Victoires, ces productions rayonnent dans les provinces, mais leur éclat peine à atteindre la capitale. Pourtant, les stéréotypes planent souvent comme une ombre sur ces films, soulevant une question cruciale : peuvent-ils transcender ces clichés tenaces ? C’est dans ce contexte que Super-bourrés, la création estivale de Bastien Milheau, se dévoile comme une comédie ancrée dans le Sud-Ouest, apportant une réponse nuancée à ces préjugés.

L’histoire s’ouvre à la veille de la fin du lycée, mettant en scène Janus et Sam, deux adolescents qui embarquent dans une quête déjantée pour apporter leur contribution à la fête de clôture. Leur exploration de la cave du père de Janus prend une tournure inattendue lorsqu’ils tombent sur une mystérieuse machine, déclenchant ainsi une série de péripéties rocambolesques.

VIVONS LA VIE CÔTÉ PLAISIR

À l’instar de Les Beaux Gosses, le long-métrage de Bastien Milheau tisse un récit à double fil : d’une part, une aventure feel-good où deux adolescents cherchent à façonner leur identité personnelle tout en découvrant l’autre – Janus, aspirant à quitter sa région natale pour s’affranchir de ses racines, et Sam, ancrée dans les traditions et envisageant de travailler aux côtés de son père. D’autre part, le film adopte résolument sa nature de comédie typique de la région, peignant le portrait d’un village du Sud-Ouest où le charme s’exprime à travers des paysages pittoresques, des accents ensorcelants et une distribution locale, qu’elle soit composée d’amateurs ou d’acteurs aguerris.

L’un des aspects les plus saisissants de Super-bourrés réside dans la manière dont Bastien Milheau tisse discrètement des thèmes sociaux, ouvrant ainsi des fenêtres de réflexion et d’apprentissage pour un public parfois réfractaire ou peu éclairé. Une scène mémorable, en particulier, se démarque par sa finesse et son audace. Lorsque les deux adolescents sont soumis à une fouille policière, révélant la présence d’un sextoy dans leurs affaires, cette séquence devient le tremplin d’un discours à la fois hilarant, intelligent et habilement écrit sur l’homosexualité et l’orgasme prostatique. Le réalisateur transforme ainsi un moment anodin en une opportunité d’aborder des sujets souvent considérés comme sensibles – surtout dans certaines régions, justement. La manière dont cette scène est traitée témoigne de la capacité à naviguer entre le rire et la réflexion. Les dialogues, parsemés d’humour, révèlent un véritable souci d’éducation du public, tout en offrant des éclats de rire. Cette approche subtile permet au film de jouer un rôle bien plus profond que celui de simple divertissement estival. Par cette simple scène, Milheau défie les normes sociales et renverse les stéréotypes, incitant les spectateurs à remettre en question leurs préjugés et à élargir leurs horizons. Le traitement de l’homosexualité et de l’orgasme prostatique avec humour et respect montre son engagement envers l’ouverture d’esprit et l’inclusion. Loin de toute lourdeur didactique, le film éclaire les coins sombres de l’ignorance tout en amenant le public à repenser les notions préconçues.

LE COEUR POPULAIRE

La véritable essence de Super-bourrés réside dans sa sincérité désarmante. Sans artifices superflus, le réalisateur nous plonge captivés au cœur de sa région d’origine. Les personnages se succèdent, les situations cocasses s’entrelacent avec des moments empreints d’une beauté émotionnelle, et surtout, le rire fuse à foison. L’humour, habilement orchestré, se déploie dans toute sa splendeur. Qu’il s’agisse de l’humour distinctif de chaque personnage – une mention à Vincent Moscato, dont l’accent exubérant, les expressions et la colère apparente déclenchent des éclats de rire (pour la première fois de sa carrière) – ou de situations absurdes minutieusement agencées, le film étonne et enchante à chaque instant. Aussi, le film tire profit des circonstances cocasses autour de Jean Lasalle (ou plutôt Jean Le Sale, suite aux récentes accusations à son encontre), qui éprouve des difficultés à restituer ses répliques sans se perdre ou oublier son texte. Durant ces moments, le contrechamp est bref, apportant une authenticité inattendue au film, comme si Jean Lasalle restait fidèle à lui-même : déconcertant et indirectement drôle.

Enfin, impossible de passer à côté du duo d’acteurs principaux, qui rayonne de charme et de justesse. Pierre Gommé, tout d’abord, ne nous est pas inconnu avec son visage atypique et sa présence déjà remarquée dans des œuvres telles que le récent Apaches ou la captivante série 3615 Monique. Son physique singulier est un atout majeur, et son expérience transparaît dans son jeu tout en nuances. Arborant un air d’innocence parfaitement maîtrisé, Gommé apporte une touche touchante et une énergie inestimable à l’ensemble du long-métrage. Cependant, la véritable révélation se trouve en la personne de Nina Poletto, dont c’est le premier rôle. Son talent éclate avec éclat à l’écran, démontrant une justesse et une authenticité déconcertantes. Chacune de ses répliques trouve une résonance palpable, et son jeu offre une véritable épaisseur à son personnage. Poletto incarne avec brio une pétillante Sam, laissant une empreinte indélébile sur l’histoire. Le spectateur se surprend à souhaiter ardemment être son ami, à partager des moments complices et à vivre des aventures palpitantes à ses côtés.

Si vous êtes en quête d’une comédie simple, mais profondément amusante, à l’instar de Les Petites Victoires en début d’année, Super-bourrés mérite indéniablement votre attention. Il brille par son authenticité, son humour subtil et ses prises de position sociétales bien amenées. Cette œuvre du Sud-Ouest s’impose comme une bouffée d’air frais, une invitation à la découverte d’un univers pittoresque et attachant, à l’écart des sentiers battus.

Super-bourrés de Bastien Milheau, 1h19, avec Pierre Gommé, Barbara Schulz, Vincent Moscato – Au cinéma le 30 août 2023.

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