Septembre sans Attendre est le nouveau long-métrage de Jonas Trueba, prodigieux cinéaste espagnol, auteur de Eva en Août et Venez Voir. Ici, le cinéaste part d’un postulat à la fois simple et audacieux : un couple désuni souhaite organiser une fête de séparation. Une réception célébrant les moments passés, rassemblant amis communs et membres de la famille.
Cette idée est brillante pour deux raisons. Premièrement, elle détourne le modèle narratif de la comédie de remariage. Ce terme, inventé par le théoricien du cinéma Stanley Cavell, désigne des films, souvent des années 1940, où un couple surmonte des péripéties comiques et dramatiques pour retrouver l’amour. Ce schéma narratif, alternant entre sérieux et humour, est réinterprété par Trueba de façon ingénieuse. Au lieu de multiplier les péripéties, il explore la variation d’une seule situation répétée à l’infini. Cela permet de rejouer la même scène où Ale et Alex annoncent à leurs proches qu’ils se séparent et organisent une fête de “démariage”. La grande idée de Septembre sans Attendre réside dans la répétition infinie d’une même situation, voire d’une même phrase. Cette idée évoque naturellement les nombreux discours sur la répétition et l’usure dont souffre un couple pris dans la routine quotidienne. Cependant, ici, il ne s’agit pas d’usure, mais d’une exploration délicate des variations de jeu et de mise en scène. En connaissant par cœur les enjeux de la séquence, le spectateur peut se concentrer sur d’autres éléments : un sourire feint, une caméra qui éloigne progressivement le couple. Ces détails, révélés par cette boucle narrative, nous plongent dans l’intimité du couple, dévoilant des nuances invisibles autrement.
Ale et Alex, interprétés par Itsaso Arana et Vito Sanz, incarnent un couple d’artistes. Elle est cinéaste, il est acteur, et leurs identités professionnelles s’entrelacent fréquemment tout au long du film. Ale monte le long-métrage que nous voyons, tandis que nous le regardons. Cette incursion méta, d’autant plus profonde que les deux acteurs ont déjà incarné des couples sous la direction de Trueba à deux reprises, confère au film une sincérité et une intimité accrues, renforcée par le fait qu’ils sont également co-scénaristes aux côtés de Jonas Trueba. Cette idée narrative est précisément ce qui fait de ce nouveau long-métrage l’un des plus doux, sinon le plus doux, à sortir cette année. Cette dimension transforme radicalement notre perception, mettant en lumière les choix créatifs de Trueba, puisque nous assistons à la confection même de l’œuvre. Parfois, cela crée une forme d’artificialité, comme lorsqu’il recourt à des effets voyants, tels que le split-screen pour séparer les protagonistes, ou lorsqu’il commente certaines séquences par la voix d’Ale, puis montre une autre version du montage possible. Cependant, ces moments, bien que notables, sont éclipsés par de nombreux autres où cette approche génère une beauté tout à fait admirable, révélant que le cinéma permet de mieux voir.
Les citations du film, mises en évidence avec délicatesse, apparaissent non pas grossières, mais au contraire profondément sincères. On pense notamment à la référence à Bergman, le réalisateur de Scènes de la vie conjugale auquel Septembre sans Attendre fait écho, ou encore au rôle du père d’Ale, incarné par le véritable père de Jonas Trueba, Fernando, lui-même réalisateur (Belle époque, They Shot the Piano Player). Cette inclusion est une manière touchante pour Trueba de rendre hommage à la passion paternelle pour les comédies de remariage, tout en l’intégrant directement à l’œuvre, puisque Fernando est à l’origine du pitch du film.
En rejouant des séquences ou en les remontant différemment, Trueba rappelle aux spectateurs la toute-puissance du cinéma. C’est en revoyant les scènes que nous découvrons la vérité cachée, notamment à travers les émotions des personnages, les gestes de rapprochement ou les regards échangés. En rejouant certaines scènes ensemble, les personnages retombent amoureux encore et encore. Pour Trueba, le cinéma permet non seulement de faire naître l’amour, mais aussi de révéler la vérité. Cette idée de répétition s’est souvent manifestée dans la filmographie de Trueba, qui a travaillé à plusieurs reprises sur la cellule familiale et plus particulièrement sur le couple. Ici, en renouvelant cette expérience, en la répétant et en l’hybridant avec la comédie de remariage, il démontre qu’une variation s’introduit également dans sa filmographie. En revisitant les mêmes citations, avec Stanley Cavell en tête, et le même thème, la répétition permet cette fois-ci de faire émerger de nouveaux éléments, notamment l’inquiétude liée à la crise de la quarantaine.
Cette nouvelle boucle créative n’efface pas le reste de sa carrière, elle ajoute une couche supplémentaire à son œuvre, transformant ce Septembre sans Attendre en une répétition qui devient la preuve formelle du discours entendu (et vu) dans le film. C’est donc à la fois reposant, par son puissant discours sur les images, et terriblement fascinant, par sa manière de réinventer le cinéma du cinéaste. Le film évolue constamment, accumulant les couches de lecture, tout comme l’œuvre de Trueba. Quand les noms défilent et que la séance se clôture, on ne pense déjà qu’à y revenir, à effectuer une nouvelle boucle, pour voir plus profondément. Alors, donnons-nous rendez-vous à la prochaine répétition, Jonas.