[CRITIQUE] Retour à Séoul – Découvrir un soi qu’on attend plus

Davy Chou revient avec un portrait intime et imprévisible d’un personnage fictif dans son deuxième long métrage narratif, Retour à Séoul. Huit années dans la vie d’une jeune femme née en Corée du Sud et adoptée par des parents français, un voyage imprévu dans son pays natal à l’âge de vingt-cinq ans crée un chamboulement qui s’étend jusqu’à la trentaine. La nouvelle comédienne Park Ji-Min incarne une gamme impressionnante de nuances émotionnelles, captivant même lorsque le film de Chou prend des virages radicaux dans le ton en délimitant trois périodes distinctes de sa vie.

Freddie (Park Ji-Min) se retrouve à Séoul à l’âge de vingt-cinq ans par un hasard bien particulier, littéralement emportée par le vent par une sorte de fatalité. Elle se lie immédiatement d’amitié avec Tena (Guka Han), une jeune femme sereine qui travaille au comptoir de l’hôtel de Freddie et qui est surprise d’apprendre que la cliente est française, une langue qu’elle parle également couramment. Au cours d’un verre, Freddie révèle qu’elle est née en Corée du Sud et qu’elle a été adoptée alors qu’elle n’était qu’une enfant, qu’elle n’a jamais rencontré ses parents biologiques et qu’elle n’en avait pas l’intention. Mais lorsqu’on lui parle du Centre d’adoption de Hammond, elle s’y rend avec le peu d’informations dont elle dispose, et en quelques instants, son dossier est retrouvé. Son père (Oh Kwang-Rok) répond immédiatement à l’appel de l’agence qui envoie des télégrammes à ses deux parents biologiques. Elle emmène Tena avec elle à Gunsan pour lui servir d’interprète.

© Les Films du Losange

Elle y rencontre également une tante et une grand-mère, mais ne s’attendait pas à un tel débordement d’émotions de la part de son père, qui envoie des SMS et appelle sans cesse, souvent ivre et en pleurs. Lorsque Freddie se dit consternée par le fait que son père déverse son chagrin sur elle, Tena lui répond : “C’est la façon de faire des hommes coréens“. Alors que ses deux semaines touchent à leur fin, Freddie cherche désespérément à avoir des nouvelles de sa mère biologique, qui ne lui répond jamais. Puis, le film se déplace deux ans dans le futur, où Freddie a déménagé à Séoul et rencontre un marchand d’armes français (Louis-Do de Lencquesaing), qui lui sera utile. Sans nouvelles de sa mère, cinq autres années s’écoulent et, à 32 ans, Freddie semble avoir une certaine stabilité financière et émotionnelle. Elle est heureuse avec Maxime (Yoann Zimmer), qui l’accompagne lors d’un déjeuner avec sa tante et son père. Mais quelque chose la dégoûte de Maxime et, après une soirée de beuverie, elle se réveille le lendemain, seule dans une ruelle. Mais sa mère a finalement répondu à un télégramme de l’agence. Une rencontre est organisée, des larmes sont échangées et sa mère donne à Freddie une adresse mail. Une autre année passe, et Freddie se retrouve seule lors d’un pèlerinage où elle recevra une dernière déception.

Tant Park Ji-Min que le film lui-même ont tendance à fonctionner sur la base de certaines fréquences. Une partition séduisante de Christophe Musset et Jérémie Arcache, les compositeurs de Diamond Island, ainsi qu’une bande-son bien choisie, composée de musique coréenne lunatique et de pop rock vintage, contribuent à créer une ambiance électrique, accordant à Freddie son propre thème. Ce qui attire les gens vers Freddie finit parfois par les repousser, et plus on apprend à la connaître, plus on se rend compte qu’elle teste aussi les gens. Attirant un certain mystère qui se prête souvent au chaos, elle semble vouloir mettre le feu au confort qu’elle s’est créé, réinventant une version différente qu’elle préfère. Puisant dans les notions de non-appartenance, d’éloignement de sa culture et d’étrangeté permanente aux diverses cultures d’accueil, elle est à la recherche d’un semblant de complétude, ce qui est souvent décrit comme le sentiment d’être chez soi.

© Les Films du Losange

À la fin de la première séquence, où elle rabaisse un garçon coréen avec qui elle a couché, ainsi que sa nouvelle amie Tena, Freddie se rend sur la piste de danse du bar où elle se trouve et danse à cœur ouvert – c’est un spectacle semblable à la première introduction d’Andrew Garfield dans Boy A (2007), où la danse et la musique offrent une forme de catharsis que le langage ne peut tout simplement pas offrir. Très tôt, Freddie découvre le concept de détection visuelle, un terme utilisé en musique pour désigner la capacité à détecter les notes à l’avance – et la musique joue un rôle important dans le développement de Freddie. Lorsque son père biologique joue une musique composée pour elle, Chou montre les secondes restantes sur la piste, signalant ainsi l’abandon immédiat de Maxime par Freddie, après un dîner agréable mais riche en émotions avec son père et sa tante. Le moment le plus cathartique du film, à l’agence Hammond, arrive assez tard, et Chou garde la caméra en gros plan sur le profil de Freddie. Ce qui est le plus astucieux dans ce moment et dans d’autres qui permettent de rendre le film poignant, c’est qu’ils suggèrent aussi un sentiment d’inachevé – comme dans la vie, ce sont des moments, pas des guérisons.

Il y a un sentiment de décousu dans Retour à Séoul qui peut sembler discordant en ce qui concerne le rythme du film, mais qui s’approche de la façon dont se produisent les transitions dans la vie, où la croissance et la maturité mènent à la compréhension, parfois à la paix, sans respect pour la finesse. À chaque moment du film, un événement perturbateur sur le plan émotionnel se produit, un schéma apparent jusqu’à la fin amère où une dernière grande déception risque de bouleverser la situation. Et bien que les spécificités de l’expérience des adoptés (d’une manière frappante pour les enfants coréens adoptés par des parents français), la signification que Freddie incarne est la récompense douce-amère de la façon dont une recherche désespérée et furieuse de soi se révèle être la constante que nous devons apprendre à apprécier et à embrasser. Nous sommes laissés avec un sentiment de finalité et d’acceptation, Freddie créant sa propre musique tranquille, offrant au public une sorte de lecture à vue de ce qui l’attend dans ses prochaines démarches.

Retour à Séoul de Davy Chou, 1h59, avec Park Ji-min (II), Oh Kwang-rok, Guka Han – Au cinéma le 25 janvier 2023

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Un commentaire

  1. Federico Reply

    Personne sait ce que nous, adoptes, souffrent.
    Le film manque l’essentiel: une empathie vers nous et la recherche de nos origines (toujours decevante)…
    J’attendais un film different, mais a la fin j’ai compris que le realisateur etait un hombre “normal” (non-adopte)

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