[CRITIQUE] Rendez-vous à Tokyo – Des rendez-vous marqués

Tout juste après avoir sorti Remain in Twilight en mai 2021, Daigo Matsui poursuit son penchant pour la nostalgie et son influence sur notre présent avec son dernier film Rendez-vous à Tokyo. L’œuvre du jeune réalisateur vient décortiquer une relation amoureuse et ses fluctuations en sept chapitres. Teruo (Sosuke Ikematsu) et Yo (Sairi Itô), protagonistes de cette valse sentimentale enivrante, formèrent un jeune couple attendrissant avant leur mystérieuse rupture.

Une seule et même date retentit sur plusieurs année, le 26 juillet – où les souvenirs heureux de ce duo séparé surviennent à des instants distincts. À la suite de sa séparation avec Yo, Teruo s’est reconverti en éclairagiste après une blessure qui l’empêche d’évoluer dans son métier de danseur – métier qui suscitait l’intérêt de la gent féminine. Yo, quant à elle, est une jeune femme au timbre de voix « étrange » et chauffeur de taxi, où l’habitacle accorde un exutoire pour les passagers les plus bavards.

Après la rupture, le 26 juillet jaillit comme une date clef, faisant écho aux principaux événements de leur histoire : l’anniversaire de Teruo, la date de leur rencontre et de leur séparation. Les souvenirs jaillissent et fusent de tous les côtés et la léthargie se fait sentir. Y aura-t-il une concomitance de rendez-vous physique et psychique ? Les hésitations se manifestent assurément dans l’inconfort de la situation. Yo et Teruo sont pensifs, silencieux car trop nostalgiques de ces rendez-vous enchantés qu’ils ont pu partager dans le passé. Chacun de leur côté, expérimentent ces flash-back qui les empoisonnent et les plongent dans des situations paralysantes d’émotions. Yo s’enferme dans la carrosserie de son taxi et s’inflige les récits de ses clients sans que la jeune femme puisse expier sa frustration sentimentale. Teruo, boiteux et limité par sa blessure, observe de loin ses camarades réaliser ses rêves de danse, qu’il avait l’habitude de caricaturer avec Yo. L’hésitation réside dans l’incertitude que l’autre est à la même page que vous. C’est bien là où se situe toute l’intrigue – les deux personnages vont-ils parvenir à accorder leurs violons dans un projet d’épanouissement amoureux simultané ?

© Art House Films
CRISE DE FOIE

Le sentiment amoureux et son évaporation sont intelligemment esquissés par la gourmandise, la pâtisserie crémeuse qu’ils s’adonnent à partager dans des éclats de rire interminables. L’amour complice apparaît comme un met d’une rareté exquise, un nuage fondant qui tend à la boulimie. La dépendance sucrée est transposée au même rang que l’addiction amoureuse, comme on dit : mal de dents, mal d’amour.

En somme, le film demeure être une douce pâtisserie, où le romantisme attise un sentiment de béatitude réciproque, qui n’exempte pas une finalité digestive difficile, où la sucrerie menace de finir en remontée acide. Cette crainte assassine que le ou la partenaire ne vibre plus au même rythme que l’autre après une séparation, est magnifiquement projetée à l’écran. Des silences, des regards, de l’espoir dans ces temps de latence qui nous forcent à nous raccrocher à chaque petit détail qui pourrait nous laisser croire que le couple se reforme. Les regards ne trompent pas. Le rythme du moteur de la voiture de taxi se différencie des vrombissements qui jaillissent des cours de danse, mais qu’importe ; les deux personnages semblent incomplets et tragiquement absents l’un sans l’autre. Les deux amants maintiennent un traitement particulier à leurs retrouvailles – bien que plus brèves – mais toujours emplies d’intensité. Finalement, les souvenirs heureux ne prennent pas une ride et les amoureux persistent à rétablir ce lien fort. Les actions sont timides, incertaines, le trop plein se fait ressentir, ce qui implique fatalement des séquences touchantes et troublantes d’authenticité – la performance des deux acteurs est ahurissante de réalisme. Malgré la séparation, cela ne fait aucun doute que ces deux destins se retrouveront pour partager des pas de danse bancals ou une pâtisserie généreusement décorée.

À consommer avec voracité, il est fortement encouragé de découvrir cette parenthèse romantique décomposée en plusieurs rendez-vous.

Rendez-vous à Tokyo de Daigo Matsui, 1h55, avec Sosuke Ikematsu, Sairi Itô, Yumi Kawai – Au cinéma le 26 juillet 2023.

0
0

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *