Inspiré librement de l’histoire d’un prisonnier en Sicile pour avoir transporté des migrants jusqu’en Libye, Moi, Capitaine évoque frontalement les difficultés de l’immigration par le trajet d’Afrique jusqu’en Italie de deux jeunes hommes originaires du Sénégal. Le cinéaste Matteo Garrone disait que les images perçues des migrants par le grand public au travers des médias se limitaient à des cadavres que l’on retrouvait dans les rues et des disparitions humaines. Il tâche d’évoquer le drame précurseur, avant l’entrée sur le territoire en vue. Sacré meilleur réalisateur à la dernière Mostra de Venise, il s’applique à retranscrire étape après étape géographique le périple de Seydou et Moussa. Jusqu’à trop en faire…
Malheureusement, Moi, capitaine semble être constamment bloqué dans les différents points de vue employés sur les situations des personnages. Tantôt sommes-nous collés à la peau de Seydou et Moussa, ou distanciés, dans un entre-deux assez maladroit. Parce qu’il n’y a pas de développement très conséquent sur le passé des personnages ni sur leurs motivations concrètes, ils sont réduits à des passagers de plus que l’on suit sans saisir complètement les motifs derrière. Problématique ici, d’autant plus quand l’irruption de la mère du protagoniste s’occasionne à plusieurs reprises – y compris par une « vision » – ramenant le personnage à des regrets. Mais il n’y a pas plus de remise en question de la prise de décision, il faut accepter d’être concerné directement par le sort difficile que traversent ces personnages.
La structure quasi épisodique de l’histoire n’arrange pas les choses dans la mesure où le spectateur est galvaudé d’un lieu à un autre, de péripéties en péripéties plus ou moins bien dramatisées (les geôles en Libye) où les violons ressortent trop fréquemment. Nonobstant, les personnages sont très bien incarnés par les acteurs respectifs, apportant beaucoup de vitalité à l’écran sans trop forcer leur jeu. Il y a une approche objective dans le cinéma de Garrone qui se traduit par l’arrivée tôt ou tard de fins d’événements scénaristiques (Gomorra, 2008). Celle-ci se rompt quelque peu dans Moi, Capitaine par le trop plein de « pathos » disons-le, forçant l’émotion à plusieurs reprises de façon inutile alors qu’elle pouvait se dévoiler figurativement par la force des images.
La perception exclusivement centrée sur le migrant reste évidemment intéressante, mais la mythification du trajet migratoire est maladroite en fin de compte. Il suffit de constater l’écart de registre entre les scènes de torture en prison libyenne et la proposition miraculeuse aux personnages de conduire le bateau, diamétralement opposées. La poésie souhaitée par Garrone se transforme en naïveté malvenue, se détachant finalement de l’objectif premier : trouver l’authenticité du quotidien éprouvant de deux jeunes perdus par leurs aspirations.
Moi, Capitaine n’est pas désagréable, si l’on ne s’attarde pas trop sur la superficialité de son écriture. A trop rappeler la tragédie, le goût amer reste en bouche. La douleur est perçue, pourvu que les esprits soient encore éveillés par les enjeux sporadiques et prévisibles d’un film branché pour l’actualité.
Moi, Capitaine de Matteo Garrone, 2h02, avec Seydou Sarr, Moustapha Fall, Issaka Sawadogo – Au cinéma le 3 janvier 2024
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William Carlier5/10 Mid (comme disent les jeunes)Moi, Capitaine n’est pas désagréable, si l’on ne s’attarde pas trop sur la superficialité de son écriture. A trop rappeler la tragédie, le goût amer reste en bouche. La douleur est perçue, pourvu que les esprits soient encore éveillés par les enjeux sporadiques et prévisibles d’un film branché pour l’actualité.