Tom Cruise s’arrêtera-t-il de courir un jour ? Sa dernière foulée dans le surprenant Top Gun : Maverick l’érigeait en ultime représentant d’un cinéma à l’ancienne, un cinéma du risque réel, l’acteur-cascadeur étanchant sa soif masochiste en se propulsant toujours plus loin, toujours plus vite, toujours plus haut. Et ce, pour de vrai. C’était aussi l’une des pistes du précédent Mission : Impossible, qui replaçait la variable humaine au centre du maelstrom pyrotechnique qu’est devenue la saga. Cruise et son nouveau camarade de jeu, le cinéaste Christopher McQuarrie, avait alors trouvé le compromis idéal pour maintenir la saga à flot et se démarquer du tout-venant hollywoodien : connecter la mortalité du super-espion Ethan Hunt (et celle de son interprète) à une action tout bonnement invraisemblable, mettant à rude épreuve cette chère suspension d’incrédulité. Dead Reckoning, septième opus et premier d’un diptyque, suit ces nouvelles consignes à la lettre jusqu’à dérouler son script autour du combat pour le concret mené (très sérieusement) par le comédien. Mis en compétition avec des drones dans la suite de Top Gun, le voici aux prises avec une intelligence artificielle révolutionnaire que tout le monde espère contrôler, un algorithme en mesure de falsifier n’importe quelle donnée aussi aisément qu’on truque une image de cinéma. Dès lors, si le sauvetage de l’humanité reste dans le viseur des protagonistes, le film s’engage surtout à traiter le corps de l’acteur en tant qu’unique solution face à cet ennemi intangible. Même les fameux gadgets, masques et autres outils spéciaux, tombent en désuétude face aux capacités physiques du monument Tom Cruise qui, du haut de ses soixante-et-un ans, brave le danger avec autant d’assurance qu’à ses débuts chez Brian De Palma. Dead Reckoning pousse si loin les curseurs métaphoriques que le long-métrage paraît briser le quatrième mur, l’œil de l’acteur croisant celui de la caméra lorsque celui-ci assure confier sa vie à ceux qui le regardent. Un aveu honnête, mais trahissant l’exagération symptomatique du blockbuster et son manque pharamineux de subtilité.
Certes, la franchise Mission : Impossible ne s’est jamais posée en modèle de finesse, mais la bonne tenue de ses mécanismes de tension et son art du rebondissement en firent une référence populaire du divertissement à l’américaine. Son septième épisode semble n’avoir que faire de cette réputation, entassant honteusement ses péripéties d’espionnage et complexifiant sciemment son scénario via dialogues à rallonge, courses-poursuites longuettes (le rythme est catastrophique) et personnages à foison. Sa générosité maladive se trouve être son pire défaut car le plus commun à l’industrie : la saga tombe ici dans le vilain piège de la surenchère et de la trame absconse, tares qu’elles partagent désormais avec la concurrence, sans pouvoir recourir à l’action pour maquiller ses échecs. Surdosée, bizarrement fichue, découpée aléatoirement, cette dernière est réduite à boucher les trous d’une intrigue débraillée, motiver le déplacement d’un décor au suivant, dépouillée de toute folie. La réalisation de Christopher McQuarrie paraît comme dépossédée, débranchée de ce qu’elle est censée enregistrée, impuissante quand il s’agit d’émotion. Alors, Dead Reckoning confirme la crainte de voir la licence dépendre du seul nom de Cruise, encore épaulé d’un casting charmant mais plus que jamais remplaçable malgré les beaux yeux qui circulent. Et bien que ce chapitre puisse se targuer d’une double lecture d’actualité (valable pour le contexte cinématographique et technologique), les pirouettes suicidaires de l’acteur perdent inéluctablement de leur nécessité dans la confusion. L’opus précédent, le flamboyant Fallout, s’était arrangé pour coordonner ses scènes de bravoure à une histoire solide, ramassant les plus beaux gimmicks laissés par la ribambelle de réalisateurs à avoir investi Mission : Impossible. La première partie de Dead Reckoning récupère quant à elle ce que la saga avait jugé bon de laisser derrière elle, les bouts de gras, les méchants insipides et les traits démodés qui entravaient son intemporalité. Pour sa troisième participation, McQuarrie ne revient donc pas aux bases, mais opère une régression. Quant à sa vedette, celle-ci n’a plus d’autre choix que de courir pour que la machine ne s’écroule.
Mission : Impossible – Dead Reckoning – Partie 1 de Christopher McQuarrie, 2h43, avec Tom Cruise, Hayley Atwell, Simon Pegg – Au cinéma le 12 juillet 2023
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JACK4/10 PassableMission : Impossible - Dead Reckoning joue la carte de la complexité, comme un retour à ses débuts hitchcockiens, mais finit par perdre à son propre jeu. Son scénario s'embourbe, ses personnages se fondent, mais Tom Cruise tient bon en vestige d'un cinéma à l'ancienne.
Un commentaire
Très bonne critique, le tout est bien décortiqué et intéressant ! Cela dit, je ne suis pas du même avis ah ah, notamment sur le rythme que j’ai trouvé vraiment bon ! Lorsque que la fin arrive, je me suis dit “C’est déjà la fin ?”