Rechercher

[CRITIQUE] MaXXXine – Le carnaval des illusions

En construisant son œuvre autour de clins d’œil et de références largement reconnues par les cinéphiles avertis, Ti West édifie une œuvre acerbe et résolument cinéphile qui se densifie avec le temps. Avec MaXXXine, il confirme son approche post-moderniste du genre horrifique en s’appuyant non seulement sur des repères clés de l’histoire du cinéma mais aussi en capturant, grâce à un montage astucieux, divers états de fantasme et d’ironie mordante. Ces éléments se superposent et s’entrelacent pour offrir un miroir acide au puritanisme américain tout en voyageant à travers trois films et trois époques distinctes, toutes incarnées par la même actrice, Mia Goth.

Dans X, premier opus imprégné de l’esprit de Massacre à la tronçonneuse, la juxtaposition des jeunes libertaires des années 70 avec un couple de vieillards puritains figés dans leurs traditions religieuses désuètes donne naissance à un contraste stimulant. Ce découpage à la fois rigide et poétique crée un miroir fascinant, tissé de nuances uniques. Quant à Pearl, le deuxième volet, il plonge dans l’univers du mélodrame à la manière de Douglas Sirk tout en intégrant des éléments horrifiques et en adoptant une palette de couleurs rappelant Le Magicien d’Oz. Ce mélange audacieux génère une atmosphère riche et complexe, enrichissant ainsi le triptyque d’une profondeur supplémentaire. MaXXXine, dernier volet, poursuit directement l’histoire de X tout en s’ancrant dans l’univers sordide du Hollywood des années 80. Nous y suivons Maxine Minx qui, après avoir échappé à Pearl et son mari, voit se dessiner ses rêves de grandeur dans les grands studios tandis qu’un tueur en série sème la terreur en ville. Le cinéaste ne dissimule pas son intention de conférer à ce long-métrage l’apparence d’un giallo (bien que cet aspect puisse être trompeur) en l’enrichissant de multiples références au genre et à l’Hollywood de l’époque qui se superposent à la psyché de Maxine.

Un des premiers plans illustre parfaitement ces dynamiques. Après avoir affiché la citation de l’actrice hollywoodienne Bette Davis [rétrospective ici] qui affirmait que « dans ce métier, tant qu’on n’est pas connu comme un monstre, on n’est pas une star », le plan large nous présente Maxine de loin, avant que le cadre ne se resserre lorsqu’elle entre dans le vaste studio et se place devant ceux chargés d’évaluer sa performance. Ce mouvement nous place immédiatement à la position des observateurs, superposant le regard du public à celui du jury. Maxine y apparaît comme une figure à la fois assurée et moralement défaillante, évoluant dans un univers saturé de vices. La mise en scène s’attache à dévoiler, simultanément, la prédation qui la caractérise et les illusions, fantasmes, ainsi que les traumatismes qui la tourmentent.

Les scènes qui suivent cette introduction plongent le spectateur dans un plaisir fétichiste tout en mettant en lumière la façon dont Ti West mélange habilement rêverie, fiction et réalité, avec Mia Goth comme maîtresse de ce jeu complexe. Lorsqu’un ami est brutalement assassiné, le réalisateur opte pour un montage alterné, passant de l’action violente à notre protagoniste absorbée dans la réécriture de son texte. Chaque coup de crayon semble se synchroniser avec les coups de couteau portés à son ami, créant ainsi une concordance troublante entre les impacts physiques et les gestes de Maxine. Cette scène développe déjà, par ce jeu de montage, une accointance entre le sadisme de la découpe (dans tous les sens du terme) et la conduite ainsi que les gestes de Maxine.

Ti West n’hésite pas à plonger dans les peurs et traumatismes de son personnage. Dans une séquence particulièrement terrifiante, Maxine, recouverte de crème collante, attend dans la salle de maquillage. Ce traitement censé symboliser son avenir de star contraste avec la réalité sordide dévoilée par le cadrage : seuls le plastique et les costumes étranges sont visibles tandis que la peur de la vieillesse et de la mort envahit Maxine. Ses souvenirs douloureux émergent, la plongeant dans un cauchemar. Ti West décompose avec précision l’attente de l’actrice, utilisant des plans rapprochés pour intensifier l’horreur du moment. Le montage, subtilement insidieux, agit comme un poison, amplifiant l’impact de cette vision cauchemardesque. Cette séquence établit un parallèle méta profondément poignant en ce sens que Mia Goth incarne à la fois Maxine Minx et Pearl Douglas (jeune et âgée) tout au long de la trilogie. Par exemple, lors des scènes d’exécution, le visage de Maxine revêt un sadisme identique à celui de Pearl, un sadisme qu’elle doit surmonter pour atteindre son but. Cette dualité suggère que les cauchemars vécus par Maxine transcendent la simple fiction, se répercutant sur la réalité complexe de l’actrice elle-même.

Maxine apparaît comme une final girl moderne, comparable à Sidney Prescott dans Scream ou Laurie Strode dans Halloween, mais projetée dans les recoins obscurs d’un Hollywood des années 80. Bien qu’elle incarne une figure indépendante et prédatrice, affichant une confiance inébranlable — comme en témoigne la scène dans la ruelle où, face à une tentative d’agression par un ersatz de Buster Keaton, elle dégaine un revolver avec une détermination froide et impassible — le long-métrage met en exergue sa fuite à travers les décors emblématiques d’Hollywood. Cette poursuite, presque burlesque, la montre évoluant dans un monde de façades filmées en plans larges, tout en échappant sans cesse au détective privé John Labat (interprété par Kevin Bacon), tel un électron libre. En filmant la liberté de cette femme-là, en contraste avec toutes les autres, West capture l’indépendance et l’émancipation de son actrice au cœur d’un territoire où tout n’est que surface, même si le spectateur sait que les bas-fonds existent. Il s’agit là encore d’une pointe ironique, une signature reconnaissable parmi mille dans l’œuvre du metteur en scène.

Ti West exploite cette dynamique pour illustrer l’ascension de Maxine à travers une série d’événements où elle semble, en apparence, être la proie des circonstances qu’elle finit par manipuler. À l’instar du réalisateur qui joue avec les codes du genre, Maxine transforme sa détermination en un outil de triomphe, se battant avec acharnement pour réaliser ses ambitions.

Lorsque Maxine est capturée par son père, qui se révèle être le tueur en série, attachée à un poteau et entourée par une secte de puritains — les mêmes que les deux vieux de X que le père a réussi à convertir et radicaliser à travers ses discours extrémistes retransmis à la télévision des Douglas — Ti West reconnaît l’absurdité et l’invraisemblance de la situation. Néanmoins, cette scène est cruciale pour conclure la trilogie. Après l’arrivée de la police, Maxine, visualisant son avenir de star sur le tapis rouge, saisit un fusil à pompe et abat sa proie finale, se transformant en une figure emblématique ; elle a neutralisé le monstre, le tueur en série qui hantait tant les rues que les écrans. Cependant le montage, à ce moment précis, maintient une ambiguïté quant à son avenir. Ti West superpose des images d’archives à la diégèse du film, créant un effet d’accumulation visuelle et cinématographique qui intrigue le spectateur tout en laissant planer le doute sur le destin final du personnage. Ce carnaval d’illusions est principalement orchestré par le montage qui, depuis le début du film, déploie une série sophistiquée de manipulations visuelles et narratives, enrichissant l’expérience du spectateur et intensifiant l’impact émotionnel de l’histoire.

L’intérêt de cette œuvre ne réside pas tant dans l’enquête elle-même, qui fonctionne comme un leurre à l’instar de Body Double en 1984 et de Mulholland Drive en 2001. En réalité, elle explore l’industrie du cinéma américain, ses dérives ainsi que les rêves et cauchemars qu’elle engendre. En forgeant un personnage féminin à la fois indépendant et prédateur, rappelant une version moderne de Thana de L’Ange de la vengeance, Ti West conclut cette évolution dans un faux-slasher à Hollywood où son actrice, éclatante et déterminée, atteint la victoire. MaXXXine se termine par une réplique de la tête de la comédienne en plein cadre, posée sur un lit. Nous pénétrons dans l’écran tel Alice traversant le miroir, tandis que le titre de Kim Carnes, Bette Davis Eyes, accompagne la scène, soulignant la métamorphose du personnage et la fin du voyage cinématographique.

MaXXXine de Ti West, 1h44, avec Mia Goth, Elizabeth Debicki, Moses Sumney – Au cinéma le 31 juillet 2024

7/10
Total Score
  • Axel Errero
    8/10 Magnifique
    Le dernier long-métrage de Ti West est un film post-moderne XXL qui mélange les tonalités et n'a pas peur de frotter le ridicule, d'emmener son personnage loin dans la crasse, et de faire rugir Mia Goth afin de l'affirmer comme la final girl ultime et prédatrice d'une nostalgie toxique.
  • JACK
    7/10 Bien
    Aussi passionné par l'histoire du cinéma et sa capacité à refléter les turbulences de son époque que les épisodes précédents, MaXXXine prend le pouls de la société américaine directement aux portes d'Hollywood - terre promise pour les uns, antre de l'enfer pour les autres.
  • Vincent Pelisse
    7/10 Bien
0
0

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *