[CRITIQUE] Mal Viver / Viver Mal – Deux faces d’une même pièce

João Canijo nous offre un diptyque d’une rare envergure artistique avec les films Mal Viver et Viver Mal. Ces deux œuvres se déroulent dans un hôtel portugais en déclin, plongeant profondément le spectateur dans les destins de ses occupants, qu’ils soient membres du personnel ou clients.

Ce diptyque se distingue par son habileté subtile à dialoguer et à s’entrelacer. Dans Mal Viver, une immersion intense dans la routine complexe du personnel de l’hôtel est proposée. La mise en scène de Canijo, marquée par des cadrages précis à travers des vitres et des portes entrebâillées, renforce le sentiment de voyeurisme. Les acteurs, en particulier Anabela Moreira et Rita Blanco, insufflent une profonde humanité à leurs personnages, offrant ainsi une expérience cinématographique enrichissante. Le film nous transporte dans un hôtel en apparence idyllique qui s’avère être un cauchemar pour son personnel. Une mélancolie et un désenchantement omniprésents transforment ce lieu en un purgatoire. Canijo s’inspire des grands maîtres du cinéma, tels qu’Ingmar Bergman et Jacques Rivette, pour créer une atmosphère à la fois mélodramatique et poétique. Le film explore les désirs inassouvis, les mensonges, les trahisons et la confrontation à une réalité implacable, offrant ainsi une expérience cinématographique d’une puissante charge émotionnelle.

En réponse, Viver Mal se concentre sur les clients de l’hôtel, décomposant le récit en trois chapitres, chacun explorant les relations complexes entre les mères et leurs enfants. Les thèmes du désir, du mensonge et du refus de l’acceptation dominent ces histoires. Le ton varie entre réalisme et mélodrame, créant une atmosphère à la fois captivante et perturbante.

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La mise en scène occupe une place centrale dans la narration des deux films. À travers des choix visuels, notamment les cadrages, elle crée une ambiance de voyeurisme, incitant le spectateur à scruter l’intimité des personnages. Les acteurs, tels que Leonor Vasconcelos, Filipa Areosa et Leonor Silveira, confèrent profondeur et humanité à leurs rôles, suscitant ainsi une réelle empathie pour ces protagonistes. Le diptyque explore en profondeur l’âme humaine, dévoilant les luttes intérieures de ses personnages. Il rappelle que chaque individu porte son propre fardeau et que la vie est un voyage semé d’embûches et de révélations. Le cinéaste réussit à dresser un portrait complexe de l’existence humaine, mêlant habilement réalisme et poésie pour nous offrir deux films d’une profonde réflexion.

Dans l’œuvre de João Canijo, particulièrement dans Mal Viver, l’utilisation de plans longs se révèle remarquable par sa précision et son impact sur la narration. Ces plans longs, dévoilant progressivement leur dessein, instaurent une tension subtile, captivant ainsi l’attention du spectateur. Ils sont employés avec habileté pour mettre en scène le personnage de Piedade (Anabela Moreira). Souvent présente dans un miroir ou à la lisière d’une porte, elle écoute les conversations familiales concernant son instabilité. Cette utilisation des plans longs crée une atmosphère de désorientation qui reflète les tourments intérieurs du personnage. Le spectateur est pris au dépourvu, tout comme le personnage, par ces compositions visuelles méticuleusement orchestrées. Ces plans contribuent également à exprimer les tensions entre les personnages, en particulier dans les scènes de disputes mère-fille impliquant Piedade, sa mère Sara (Rita Blanco) et sa fille Salóme (Madalena Almeida). Les visages des acteurs sont filmés en gros plan, capturant leurs expressions et leurs émotions, mettant ainsi en évidence les conflits sous-jacents et les dissensions non résolues au sein de la famille. Lors de ces disputes, les plans longs permettent de saisir les réactions subtiles de chaque personnage, révélant leur désespoir, leur frustration et leur incompréhension mutuelle.

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Le contraste entre les deux films, se déroulant au même endroit et pendant la même période, offre une perspective fascinante sur les thèmes maternels abordés. Dans Viver Mal, les mères sont physiquement présentes et influent activement sur la vie de leurs enfants, mais elles introduisent également des dissonances dans leurs relations amoureuses. Dans l’histoire de Graça (Lia Carvalho) et Alex (Rafael Morais), la mère de Graça, Elisa (Leonor Silveira), joue un rôle particulièrement cruel dans la dynamique du couple. En comparaison, Mal Viver se penche davantage sur l’absence de relation entre Piedade et Salóme, malgré leur proximité physique. Les plans longs sont utilisés pour illustrer comment cette absence se manifeste dans leur communication et dans leur compréhension mutuelle. En outre, l’utilisation de scènes récurrentes, telles que la scène à la piscine et le dîner, dans Viver Mal, crée une structure narrative intrigante. Ces scènes sont filmées sous des angles obliques, révélant de nouveaux détails et offrant des perspectives différentes à chaque reprise. Cette technique ajoute une couche d’ambiguïté et d’incertitude à la narration, renforçant ainsi la complexité des relations présentées dans les deux films.

Le diptyque de João Canijo offre des perspectives captivantes et complexes. Les films se complètent harmonieusement tout en proposant des expériences distinctes, invitant ainsi les spectateurs à réfléchir sur la manière dont les relations familiales peuvent être dépeintes de diverses façons à l’écran. Le réalisateur émerge comme l’un des cinéastes les plus éminents du cinéma lusophone, et son exploration de l’âme humaine à travers ces deux films témoigne indéniablement de son génie artistique.

Mal Viver et Viver Mal de João Canijo, 2h07 et 2h04, avec Anabela Moreira, Rita Blanco, Madalena Almeida – Au cinéma le 11 octobre 2023.

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