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[CRITIQUE] Les gens d’à côté – On s’en fiche S

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Par Enzo Durand

Lucie (Isabelle Huppert) travaille pour la police scientifique lorsque deux événements perturbent sa vie. D’abord, le suicide de son mari, également policier, partiellement causé par la pression de sa hiérarchie. Ensuite, l’arrivée de nouveaux voisins : une famille composée d’un couple et de leur petite fille. Elle s’attache rapidement à ce foyer, passant de plus en plus de moments en compagnie de la mère, interprétée par Hafsia Herzi, et du père, incarné par Nahuel Perez Biscayart, pour combler sa solitude. Elle découvre alors que son voisin est un militant anti-police au passé marqué par des actions contestataires. Le nouveau long-métrage d’André Téchiné plonge dans le dilemme moral de Lucie, tiraillée entre son affection pour cette famille et les exigences de ses collègues policiers.

Téchiné a maintes fois prouvé son intérêt pour les relations humaines complexes et ambiguës, comme dans son précédent film, Les Âmes sœurs. Ici, il s’attarde sur la fluidité des interactions au sein de cette famille issue de milieux et d’opinions différents, les réunissant dans le cadre cinématographique. Le réalisateur fait du cinéma une passerelle entre des individus dont la vie privée et la vie professionnelle s’affrontent violemment. Ce pont unit des personnes de divers âges, aux objectifs variés et aux états physiques contrastés, symbolisés par le mari décédé de Lucie et son frère vivant, tous deux incarnés par le même acteur. La protagoniste, en perdant sa famille, se retrouve soudain avec un nouveau foyer, créant ainsi un moyen symbolique de les réunir. Cette performance illustre l’objectif du film : rassembler, quels que soient les moyens employés. Cependant, cette ambition de Téchiné de vouloir unir flirte souvent avec l’obscénité.

Le principal échec réside dans le manque de temps accordé aux personnages et aux situations. Tout se déroule à une vitesse folle, sans jamais prendre le temps de développer les enjeux. Le cinéaste tente de montrer une situation ambiguë et complexe en illustrant à la fois une manifestation pro-police et le discours d’un activiste sur les violences policières. Pourtant, ces scènes, qui durent à peine quelques minutes, ne permettent jamais de saisir la véritable complexité du sujet, et le tout ressemble davantage à une recette suivie machinalement. Ce manque de développement empêche donc Les gens d’à côté de devenir véritablement ambigu. Il échoue à s’intéresser en profondeur aux… gens d’à côté. L’insuffisance de temps consacré aux personnages entraîne un manque de sincérité dans les relations entre Lucie et ses voisins. Leurs interactions se comptent sur les doigts d’une main et durent toutes moins de cinq minutes. On ne croit jamais à l’affection que cette femme solitaire porte à ce jeune couple, pas plus qu’au personnage incarné par Isabelle Huppert. Le montage, aussi précipité que le scénario, ne lui permet pas de déployer toute sa palette de jeu qu’on lui connait si bien. Les coupes interviennent toujours pendant les moments qui humanisent la protagoniste : rires, larmes et regards.

Double peine pour le rôle d’Hafsia Herzi, qui, en plus d’être sous-développé, souffre de la comparaison avec sa performance dans La Prisonnière de Bordeaux, un film de Patricia Mazuy à paraître cet été. Dans ces deux œuvres, elle incarne la femme d’un “criminel” (braqueur ou simple manifestant) qui doit réapprendre à vivre pour elle-même. Une idée particulièrement émouvante et réussie dans l’oeuvre de Mazuy, mais à peine effleurée chez Téchiné, où elle n’est abordée que dans une courte réplique. Encore une fois, sa rapidité lui nuit considérablement, transformant plusieurs idées intéressantes en une succession de scènes mécaniques et expéditives. Pour pallier à ces lacunes, Téchiné fait l’erreur de recourir à une voix-off omniprésente. Ces monologues pesants de la protagoniste expliquent ses sentiments et comblent les ellipses, contournant ainsi les séquences sincères d’évolution des personnages. On se retrouve avec une narration qui murmure “ils se rapprochent, même si je ne vous le montre jamais”. Elle constitue une déception supplémentaire, qui prive le long-métrage de la profondeur et de l’authenticité qu’il aurait pu offrir.

Le dernier long-métrage de Téchiné sur l’amitié impossible entre une policière et un militant déçoit profondément. Le réalisateur, prétendant rassembler, évite de prendre position politiquement, ce qui frôle l’obscénité. Son propos, à la fois social et politique, demeure vague et indécis, cherchant à plaire à un large public. Cependant, en tentant d’embrasser tous les points de vue, il échoue à représenter véritablement aucun d’eux. Téchiné évite toute critique ou exploration sérieuse de la surveillance de masse par les policiers et la DGSE, ainsi que des actions des activistes. Ce manque de prise de position, de direction morale, se reflète dans une conclusion ouverte qui laisse l’impression que, même après une heure et demie, il ne sait toujours pas sur quel pied danser. Est-ce un drame familial, un polar, une satire politique, ou une œuvre onirique ? En voulant toucher à tous ces genres, Téchiné crée un mélange indigeste, une greffe de styles qui ne prend jamais.

Les Gens d’à côté de André Téchiné, 1h25, avec Isabelle Huppert, Hafsia Herzi, Nahuel Perez Biscayart – Au cinéma le 10 juillet 2024

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