Adaptation éponyme du roman d’Éric Reinhardt, L’Amour et les forêts est un drame évoquant le sujet sensible de la violence conjugale en étudiant son fondement. Virginie Efira incarne Blanche, tombée amoureuse de Grégoire (Melvil Poupaud) puis mariée à lui, avant que les choses ne dégénèrent une fois le mariage établi en laissant transparaître tant la possessivité que le tempérament agressif de son mari. La réalisatrice Valérie Donzelli reprend ce récit, construit bien sous la forme d’un enchaînement de flashback, ce qui amène certes à des étapes prévisibles du récit mais qui n’en perdent pas leur importance en apportant des clés de compréhension à l’enjeu du rendez-vous juridique présenté en début de film.
La direction des acteurs est impeccable, et il faut saluer les performances très convaincantes d’Efira incarnant un double rôle en jouant une sœur jumelle, comme celle de Poupaud en mari instable. Ils forment à la fois un couple crédible dans leur bonheur, comme dans sa désunion pure et simple. En pervers narcissique, l’acteur a beaucoup à montrer de son talent, utilisant son phrasé bien concis à la fois pour séduire et terroriser l’autre. Donzelli joue ainsi de l’hors-champ, pour donner la place à l’expression de visage de ses acteurs, tout en distillant une tension rappelant légèrement celle des films d’Hitchcock. En glissant progressivement sur le thriller anxiogène, la réalisatrice donne autant d’importance à la vie intime du couple, qui se referme sur Blanche, que son désir d’échappatoire. L’évolution psychologique des personnages se fait ainsi par l’attention au choix des plans, plus proches des personnages, et la gestion de la lumière laissant place aux ombres constantes qui se fondent derrière la femme.
Très tenu, le rythme du film ne laisse pas de répit au spectateur et cela vient en partie de la réécriture du scénario par Audrey Diwan (L’Evènement). D’un jour à l’autre, la situation change en permanence et le choix du flashback s’explique par ce besoin de retrouver la vérité. Les faits, rien que les faits, pour comprendre l’enfer intérieur de l’héroïne. Si certains traits dramatiques paraissent forcés par la voix off, alors que cela n’était pas nécessaire, la mise en scène est toujours élégante. A la fois légère et dynamique, elle recouvre ce besoin de liberté extra-conjugal, bien appuyé par le travail musical -toujours très poétique- de Gabriel Yared.
Il y a de très belles scènes où les personnages resplendissent, notamment dans la première partie. Cela ne manque pas d’authenticité, malgré les ressorts dramatiques éculés. C’est cette force de représentation à faire briller le couple et l’échouer ensuite qui captive. La cinéaste choisit également de montrer la prise de conscience des fautes du mari pour apporter de la nuance. D’ailleurs, le manque de communication familiale, même avec les enfants, rend compte d’une problématique ancrée au sein de la notion de mariage. Comment faire pour dialoguer correctement avec son conjoint comme avant le mariage ?
La trame est familière, et tout n’est absolument pas brillant dans l’exécution si l’on se réfère aux autres réussites cinématographiques sur le sujet comme Jusqu’à la Garde (2017). Mais il y a une force indéniable à l’Amour et ses forêts dans ce souci de représentation d’un phénomène quotidien, où tant de femmes n’osent pas s’exprimer par peur de représailles. Efira l’incarne si bien que cela prend aux tripes, à la fois charmante et touchante dans un rôle toujours difficile à composer. Un retour très assuré à la réalisation pour Valérie Donzelli, donc.
L’Amour et les forêts de Valérie Donzelli, 1h45, avec Virginie Efira, Melvil Poupaud, Dominique Reymond – Au cinéma le 24 mai 2023