[CRITIQUE] La Jeune fille et les paysans – La belle et les bêtes

La création cinématographique s’érige en un défi captivant, où l’art réside dans l’harmonie parfaite des éléments en présence. Chaque récit requiert un style qui lui est propre, où l’audace et la nouveauté défient toute tentation de répéter les succès passés. Cette inclination, parfois perceptible chez certains éminents réalisateurs, soulève la question : est-il vraiment nécessaire que chaque œuvre de Quentin Tarantino s’inscrive dans une narration non linéaire ? Il semble que cette attente, bien que désormais coutumière, ne soit pas incontournable. De même, l’étonnement suscité par les dénouements de M. Night Shyamalan, bien que célèbre jusqu’à récemment, ne doit pas dicter l’intégralité de son répertoire artistique. C’est dans cette perspective que l’on découvre le talentueux tandem de réalisateurs formé par DK et Hugh Welchman, dont la réalisation, La Passion Van Gogh, fut nommée aux prestigieux Oscars dans la catégorie du meilleur long métrage d’animation.

Leur utilisation novatrice de techniques particulières, notamment l’animation d’images à l’aide de peinture à l’huile, s’est révélée être, par sa justesse, une parfaite résonance avec l’âme tourmentée du célèbre peintre Vincent Van Gogh. Cependant, l’adaptation de ces méthodes à La Jeune fille et les paysans semble moins judicieuse. Ce récit, issu de l’œuvre éponyme de Wladyslaw Reymont, n’aborde pas la vie d’un artiste, mais celle de Jagna Paczesiówna, une jeune paysanne d’une beauté ensorcelante, au cœur des convoitises masculines du village, malgré les ragots et les jugements sur son compte.

Copyright Malgorzata Kuznik

Sans diminuer le mérite indéniable et l’énorme investissement en temps et en énergie, certains passages se démarquent visuellement. Structuré en quatre chapitres, le film offre des moments où la métamorphose saisonnière de la nature éblouit par sa beauté. Notamment, la séquence du mariage et de la danse parvient à restituer avec une fidélité saisissante la texture et le poids de la robe de Jagna. Cependant, ces instants d’éclat demeurent trop sporadiques, particulièrement dans les premières minutes. Bien que teintée de poésie, l’action semble souvent figée, risquant parfois de détourner l’attention de l’intrigue principale. Cette dispersion d’attention est d’autant plus regrettable que le récit se distingue par son refus d’artifices superflus. En effet, il aborde avec une profonde gravité le mariage imposé de Jagna avec Maciej Boryna et la trahison d’Antek, le fils de Boryna, qui, loin du héros romantique attendu, se révèle prêt à sacrifier la réputation de Jagna à la moindre opportunité. Le long-métrage réussit à susciter notre sympathie envers Jagna, malgré ses choix risqués. Une grande part de cette empathie réside dans l’interprétation expressive et sincère de Kamila Urzedowska. Les réalisateurs savent également avec subtilité quand diriger le regard vers elle et quand le tourner vers les habitants moralisateurs du village, introduisant ainsi des rumeurs et des jugements sur Jagna, tout en louant sa beauté.

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Cependant, une lacune narrative significative se dessine, comprimant un riche matériau source au sein d’une trame de deux heures. Dans le cadre intimiste d’un village, une attention plus soutenue aurait été de mise pour explorer l’identité communautaire dans sa globalité. Le temps alloué pour dépeindre l’évolution des sentiments entre Jagna et Antek apparaît trop court, laissant leur liaison paraître précipitée : ses changements d’attitude semblent survenir à un rythme effréné, tandis qu’elle semble être en proie à un trouble plus complexe que le simple syndrome de Stockholm. Bien que d’autres habitants du village soient brièvement esquissés, leurs réactions aux événements demeurent en suspens jusqu’à la conclusion, plusieurs confrontations et tensions semblant détonner avec le rythme paisible du récit. Par moments, les séquences semblent s’étirer, donnant l’impression d’un montage tronqué, suscitant un effet de désorientation. Cette discontinuité perturbe, bien que cela puisse être une stratégie délibérée de mise en scène. En dépit de la splendeur visuelle globale du film, l’intrigue aurait indubitablement bénéficié d’un approfondissement, ainsi que de quelques minutes supplémentaires pour pleinement s’épanouir et achever sa narration.

La conclusion, bien que prévisible, reflète le piège de la beauté pour les femmes, un thème ancré dans notre culture et dans l’histoire. Bien que d’autres dénouements puissent être imaginés, l’intervention d’un chevalier servant serait déplacée. Jagna se trouve en effet enchevêtrée dans les méandres d’une société patriarcale, succombant sous le poids des normes sociales, tel que cela était prévisible. La Jeune fille et les paysans, malgré les distractions occasionnées par son style visuel, offre une réflexion poignante sur les périls de la beauté, le pouvoir des préjugés, ainsi que sur notre propre compréhension de la liberté et de la sexualité féminines.

La Jeune fille et les paysans de DK Welchman et Hugh Welchman, 1h54, avec Kamila Urzedowska, Nadia Tereszkiewicz, Robert Gulaczyk – Au cinéma le 20 mars 2024

8/10
Note de l'équipe
  • Louan Nivesse
    8/10 Magnifique
  • William Carlier
    8/10 Magnifique
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