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[CRITIQUE] La Jeune Femme à l’Aiguille – Sous le noir et blanc, la complaisance

Présenté à Cannes en compétition officielle, La Jeune Femme à l’Aiguille marque une rupture nette avec le style habituel de Magnus von Horn. Oubliées les influenceuses de Sweat, place à la Scandinavie des années 1910 et à une esthétique en noir et blanc. On y suit Karoline, une ouvrière cherchant à survivre dans le Danemark d’après-guerre, errant de logements miteux en relations désastreuses. Si elle est un personnage fictif, elle croise le chemin de Dagmar Overbye, une figure historique tristement célèbre pour avoir été l’une des rares femmes condamnées à mort au Danemark. Dès les premières minutes, l’esthétique du film s’impose. Après une scène d’introduction marquante où les visages se tordent et se mélangent, évoquant à la fois les pensées torturées de Karoline et les gueules cassées de la guerre, le long-métrage se révèle être un véritable exercice de style. Von Horn magnifie chaque décor, des lieux chargés de crasse que l’on ressent à l’écran. Si le noir et blanc est d’une beauté saisissante, notamment dans les intérieurs, il ne masque jamais la saleté l’entoure. Mais cette saleté, tout comme la dureté du récit, soulève une question : peut-on tout montrer au cinéma ?

Copyright Lukasz Bak

À mon sens, oui. Mais il faut traiter ces sujets avec respect, ce que von Horn semble ignorer. Karoline traverse des épreuves terribles : sans argent, enceinte d’un homme qui l’abandonne, elle se voit contrainte de confier son bébé à Dagmar. Le récit va encore plus loin lorsque les deux femmes s’associent, plongeant le spectateur dans des situations de plus en plus sordides. C’est à ce moment que le film bascule. Ce qui aurait pu être une fresque historique se mue en une œuvre problématique. Le cinéaste ne cherche pas à éclairer cette période de l’histoire du Danemark ou à questionner la condition féminine, notamment face à la grossesse. Non, il veut faire un film d’horreur, jouer avec nos nerfs en transformant le parcours de Karoline en un prétexte à l’angoisse. Tous les artifices sont utilisés : longs plans fixes, silences pesants, musique omniprésente et effets racoleurs. On nous force à regarder l’horreur en face, comme lors de la scène de l’allaitement d’une enfant bien trop âgée, ou encore lorsqu’elle fait face à la mort d’un bébé. Von Horn insiste sur le malaise, au cas où l’on n’aurait pas compris.

Cette complaisance avec l’horreur se retrouve aussi dans le traitement des personnages secondaires. Le mari de Karoline, une gueule cassée de la guerre, travaille dans un cirque, seul endroit où sa difformité est tolérée. Plutôt que de dénoncer la cruauté humaine, von Horn s’attarde sur ces cicatrices, les contemplant presque avec fascination. La scène où elle assiste à la représentation de son mari est un parfait exemple : gratuite, inutile au récit, elle semble n’exister que pour satisfaire une curiosité morbide. En dépit de ses qualités plastiques indéniables et d’un casting exceptionnel (on se demande d’ailleurs où est passé le prix d’interprétation), La Jeune Femme à l’Aiguille se perd dans une surenchère racoleuse. Il aurait pu dénoncer la société et son regard sur les femmes précaires, abandonnées par des hommes lâches. Il aurait pu célébrer la sororité et montrer comment des femmes en viennent à commettre des actes immoraux pour survivre dans un monde indifférent à leur sort. Mais au final, ce n’est qu’un film cherchant à effrayer, parce que von Horn aime ça.

La Jeune femme à l’aiguille de Magnus von Horn, 1h55, avec Trine Dyrholm, Victoria Carmen Sonne, Besir Zeciri – Prochainement en salle

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