[CRITIQUE] La Bête dans la Jungle – Danse à travers le temps

La Bête dans la Jungle, inspiré de la nouvelle éponyme de Henry James, nous emporte dans un voyage captivant au cœur de l’attente et de la recherche de sens. Le réalisateur viennois, avec habileté et ironie, nous plonge dans une histoire empreinte de déterminisme et de vanité, portée par des personnages complexes et fascinants. À travers le prisme d’un club parisien vibrant et envoûtant, le film explore la puissance de l’immobilisme et la beauté du mystère.

L’ATTENTE

En 1903, l’écrivain britannique Henry James publie la nouvelle La Bête dans la Jungle, un récit court et ironique qui aborde des thèmes tels que le déterminisme, la vanité de l’attente et la quête perpétuelle de sens. C’est de cette œuvre littéraire que s’inspire le cinéaste viennois pour donner vie à son film éponyme. Dans cette adaptation remarquable, le réalisateur parvient à capturer l’essence même de la nouvelle, tout en lui insufflant sa propre vision artistique.

Au cœur de l’intrigue se trouvent May et John, les deux protagonistes de l’histoire, interprétés respectivement par Anaïs Demoustier et Tom Mercier. Leur rencontre fortuite dans un club de nuit marque le début d’une relation empreinte de mystère et d’attente. John révèle à May un secret qui le consume : il est convaincu qu’un événement extraordinaire est destiné à lui arriver, mais il ignore quand et sous quelle forme. Fascinée par cette révélation, May décide de se laisser entraîner dans l’attente de cet événement aux côtés de John, mettant de côté sa vie antérieure et ses aspirations.

Le club de nuit, véritable personnage à part entière, devient le théâtre de leur attente commune. Les rencontres hebdomadaires entre May et John dans ce lieu confiné, baigné de musique et de lumières psychédéliques, deviennent le centre de leur existence. Le club devient ainsi une salle d’attente endiablée, un cocon protégé du tumulte extérieur où le temps semble s’arrêter. Pendant que le monde évolue avec une rapidité déconcertante à l’extérieur, des événements historiques tels que l’élection de Mitterrand, la chute du mur de Berlin et les attaques du 11 septembre 2001, May et John restent figés dans leur quête intemporelle.

© 2022-AURORA-FILMS-FRAKAS-PRODUCTIONS-WILDART-FILM-RTBF
TOM TOM CLUB

Patric Chiha, avec sa maîtrise narrative et visuelle, parvient à rendre sur grand écran la fascination des personnages pour cet événement futur incertain. La combinaison subtile de la musique, de la lumière et du regard des acteurs permet de créer une atmosphère envoûtante et de transmettre l’intensité émotionnelle de leur attente. Les années passent, les ombres prennent le dessus sur les lumières, et May se transforme progressivement, perdant de sa vitalité et de sa flamme. Chiha parvient magistralement à traduire cette évolution à travers une mise en scène éclatante, où les images en super 8 se mêlent harmonieusement aux jeux de lumière et aux costumes extravagants des personnages.

Le club de nuit, baptisé “La Bête dans la Jungle”, devient le témoin silencieux de cette histoire d’amour qui semble ne jamais trouver son accomplissement. Chiha utilise cet espace comme un personnage à part entière, capturant l’essence même de la fête, de la danse et de la répétition des mouvements saccadés. Dans une atmosphère à la fois pénible, absurde, frontal, énigmatique et fascinant, le réalisateur tisse une tension irrésistible entre l’ardeur de la fête et la passivité de la contemplation.

La mise en scène de la fête et de la danse dans le film est d’une rare intensité. À l’exception peut-être du film Climax de Gaspar Noé, jamais auparavant on n’avait pu observer avec autant de précision la fièvre et l’énergie qui animent les danseurs de club. Les mouvements saccadés, presque animaux, se répètent à l’infini, tandis que les corps se fondent les uns dans les autres, formant une seule entité jouissante et sans sexe. Cette représentation viscérale de la danse de club est une véritable prouesse

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120 BATTEMENTS DE CLIMAX

La Bête dans la Jungle se révèle être un véritable chef-d’œuvre. Patric Chiha a réussi à transcender l’œuvre littéraire de Henry James en lui apportant sa propre vision artistique, tout en préservant l’essence même de l’attente et du mystère. À travers un club de nuit vibrant et envoûtant, le réalisateur autrichien nous plonge dans une quête existentielle où le temps semble suspendu. La combinaison magistrale de la musique, de la lumière et du jeu des acteurs donne vie à une histoire intemporelle qui explore avec audace la complexité des relations humaines et de l’âme.

C’est est un appel à embrasser l’incertitude de la vie, à célébrer la beauté du mystère et à reconnaître la valeur de l’attente. À travers la transformation progressive de May et les rencontres hebdomadaires de May et John, le film nous pousse à réfléchir sur notre propre existence et à nous interroger sur les moments où nous risquons de passer à côté de notre vie. Avec son esthétique visuelle captivante et sa narration subtile, La Bête dans la Jungle restera sans aucun doute gravé dans nos esprits, nous rappelant l’importance de vivre pleinement chaque instant qui nous est offert.

La Bête Dans La Jungle de Patric Chiha, 1h43, avec Anaïs Demoustier, Tom Mercier, Béatrice Dalle – Au cinéma le 16 août 2023

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