[CRITIQUE] La Bête – dans la jungle de l’espace et du temps

Hasard du calendrier, La Bête dans la Jungle d’Henry James est adaptée deux fois en moins d’un an au cinéma. Après la proposition de Patrick Chiha, qui avait grandement séduit quelques-uns de nos rédacteurs, c’est au tour de Bertrand Bonello de se confronter à la nouvelle de l’écrivain anglais.

Le réalisateur va par ailleurs se prêter à un exercice assez étonnant. Là où James écrivait sa nouvelle à la fin du XIXe siècle, Chiha l’adaptait pour placer l’histoire dans un monde plus contemporain. Bonello va lui, mettre en scène le couple Léa Seydoux George MacKay en transcendant les époques. Voulu ou pas, ce procédé fait de La Bête un film liant les deux œuvres susmentionnées.

L’originalité du métrage par rapport au support original se trouvera donc dans la traversée des époques que nous propose Bonello. Le film est tant un film à costumes qu’un film de science-fiction, avant de revenir dans un monde contemporain au notre. Le réalisateur garde la substance de l’œuvre originale de ces deux êtres attirés l’un envers l’autre et où une bête tapie dans l’ombre pèse sur leurs actes et va dresser un discours assez intéressant sur certains aspects des relations que l’on peut avoir aujourd’hui.

Copyright Carole Bethuel

Si Bonello s’est démarqué depuis quelques années comme un réalisateur unique, avec son Nocturama ou son Saint-Laurent, ce qui frappe au premier coup d’œil avec La Bête c’est sa beauté plastique. Chaque époque mise en scène présente des décors très réussis, mais surtout cohérents entre eux. La joliesse de chacun cache une ambiance froide et lugubre, accentuant la facticité de tout ce qui est exposé. Une chose n’est jamais factice cependant, c’est la relation qui lie Seydoux et MacKay, que l’on sent toujours en décalage avec le monde qui les entoure.

Le choix du casting est brillant, Seydoux est sublime comme à son habitude et présente une palette d’émotions assez large. Son flegme sied parfaitement à l’ambiance générale du film et à ce que délivre George MacKay, dont le travail est à saluer. Pas facile de remplacer un acteur pour qui le film avait été écrit. En effet, l’anglais remplace Gaspard Ulliel, initialement prévu dans le rôle et malheureusement décédé. L’acteur britannique, avec ses manières et son accent, apparaît comme un étranger au sein du long-métrage. Les statures froides et en décalage avec ce qui entoure nos deux protagonistes, surlignent la performance des deux acteurs qui transpercent tout le film de leur talent.

Copyright Carole Bethuel

La Bête semble, à bien des moments, retranscrire un certain cinéma surréaliste lynchéen. Renforcé par le jeu des acteurs, ce surréalisme est appuyé par un scénario morcelé et par l’ombre de cette bête qui pèse tout le long de ces 2h30 de film. Pourtant, s’il y a un bien un endroit où le film pêche, c’est justement dans son ambiance et son côté surréaliste. Malheureusement, Bonello n’arrive pas à instaurer l’angoisse dans son film. Il veut parfois lorgner du côté de Blue Velvet ou de Inland Empire, mais force est de constater que jamais la tension et l’angoisse ne prennent, rendant le film, simplement froid. Difficile de déceler la raison de ce manque, puisque comme dit plus haut, La Bête est réussi sur de nombreux aspects. Sûrement est-elle due à un scénario bien trop compliqué, pour pas grand-chose.

Un Blue Velvet s’ancrait dans le réel, avec une histoire simple, à laquelle on rajoutait des évènements étranges et dérangeants. Un Inland Empire nous plongeait dans un véritable cauchemar, perdant le spectateur dans sa surabondance d’informations, pour mieux l’effrayer. La Bête semble enfermé entre ces deux ambiances et n’arrive jamais à les conjuguer.

Cela fait de ce film une belle expérimentation, mais du fait de son côté revêche, une œuvre qui manque le coche dans ses intentions. De même, le discours sur l’intelligence artificielle semble un peu pauvre, puisque l’on quitte très rapidement le monde futuriste. On lui préfèrera largement Coma pour parler d’un monde totalement bouleversé par un évènement mondial.

Si La Bête est loin d’être une œuvre parfaite, le nouveau film de Bonello vaut clairement le détour pour sa claque esthétique et pour la sublime partition de George MacKay et Léa Seydoux, pour qui le César ne serait pas volé. Quand bien même, le film a du mal à instaurer une ambiance réellement oppressante, il est sûrement très intéressant à revoir plusieurs fois, afin d’analyser les nombreuses zones d’ombres figurant dans ce récit complexe et très dense.

La Bête de Bertrand Bonello, 146 minutes, avec Léa Seydoux, George MacKay, Guslagie Malanda, Dasha Nekrasova – Au cinéma le 7 février 2024

7/10
Note de l'équipe
  • Alexeï Paire
    7/10 Bien
0
0

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *